Tu sens l'angoisse palpiter dans ta poitrine.
Elle ressemble à un vertige qui te prendrait assise, elle ressemble à la tête qui tourne lorsque tu te lèves trop vite, sans t'être levée trop vite.
Elle pose un lustre noir sur le voile des choses.
Tu as appris à la reconnaître comme une couleur, une odeur, comme un goût. L'angoisse a la saveur de l'acier dans ta bouche, et cette sensation de lame enserrée dans la chair de ton ventre comme ces arbres qui en croissant intègrent dans les couches successives de leur écorce les fils de fer dont on les a meurtris.
Tu as appris à reconnaître l'angoisse et aussi son absence. Ce matin la sensation de te réveiller sous un ciel dégagé, la joie tranquille d'un siège levé, pas d'ivresse ni d'exultation, juste un doux contentement, le soulagement de la sortie du tunnel. L'absence d'angoisse n'est pas un phénomène en soi, il n'y a pas de saveur particulière de la normalité, de même qu'il n'y a pas de goût de l'absence d'ananas, mais tu sais pourtant très bien reconnaître quand tu n'es pas en train de sentir le goût de l'ananas.
L'angoisse est descendue sur toi vers onze heure, dans la lumière blanche crue du milieu du jour. Tu l'as vue arriver de loin, quelques signes avant-coureurs vite dissipés, tu as cru pouvoir échapper jusqu'à ce que la main de fer soit descendue. Elle t'a saisie par l'arrière du crâne qu'elle a transformé en pierre vaguement douloureuse.
Vaguement. Rien de saillant, rien d'excessif.
Installée stable jusqu'à la prochaine relâche.
Tu vas pouvoir continuer tranquillement comme ça.
Nous sommes en montagne, et les tunnels se succèdent au long des précipices, jusqu'à on ne sait quand.
vendredi 4 décembre 2015
jeudi 3 décembre 2015
Des femmes
A la fin tu ne fréquentes plus que ces femmes à la voix monocorde et au regard vide, ces femmes à la présence lourde qui te parlent d'horreurs à hurler mais à voix basse et s'enlisent en parlant dans des boues noires où elles t'entraînent, ces femmes auxquelles tu tends la main en sachant bien que tu ne pourras pas les tirer de là, tout juste les aider à rester à la surface, ces femmes qui te parlent de leur vie et tu sens la tristesse qui t'enveloppe comme un drap froid, sale, grise, tu la sens infuser ta vision du monde et c'est comme le brouillard, la beauté en moins.
Elles le sont toutes devenues, les unes après les autres, attirées dans le puits sans fond, l'une après l'autre un jour se sont mises à parler de cette voix monocorde et ont dévoilé cette cendre qui les ronge à la moelle, leurs couleurs vives éteintes comme soufflées une à une, les apparences disparues pour laisser place à cette seule entière nue vérité, leur vulnérabilité intérieure, comment elles ont été heurtées minées tuées dans l'indifférence au point qu'il ne leur reste d'énergie grise qu'à peine pour cette voix monocorde avec laquelle elles racontent, et on leur en voudra de raconter, la violence que chacun aimerait mieux tue car la dire la rend présente à nouveau et à les entendre parler c'est comme un direct à l'estomac qui vous donne la nausée et c'est pourquoi on leur en voudra d'avoir accepté leurs confidences et à l'avenir les évitera.
Et elle aussi à présent elle en fait partie, de ces femmes à la voix monocorde que l'on hésite à revoir car la guerre qu'elles racontent est trop lourde à porter, depuis longtemps elle en fait partie mais tu le sais seulement maintenant, maintenant elle sent monter en elle cette voix monocorde et ce regard fixe, un peu trop ouvert et focalisé sur rien, un peu effrayant, et elle voit se créer le vide autour d'elle, l'humanité s'éloigner comme respectant une distance sacrée.
Pourtant ce sont les mêmes femmes qui scintillent d'un rire non feint, font des plaisanteries limite, se passionnent dans une conversation, ont la voix qui monte très haut sans presque se briser pour des riens, la voix qui tonne de conviction, les mêmes qui semblent sortir d'une chanson de Fauve, les mêmes les yeux soulignés de noir, les mêmes dans du velours, les mêmes si fortes, les mêmes qui déplacent des montagnes sans que personne ne voie qu'elles sont en même temps à pleurer des rivières, les mêmes qui le plus souvent ne pleurent pas.
Ce sont les mêmes.
Elles le sont toutes devenues, les unes après les autres, attirées dans le puits sans fond, l'une après l'autre un jour se sont mises à parler de cette voix monocorde et ont dévoilé cette cendre qui les ronge à la moelle, leurs couleurs vives éteintes comme soufflées une à une, les apparences disparues pour laisser place à cette seule entière nue vérité, leur vulnérabilité intérieure, comment elles ont été heurtées minées tuées dans l'indifférence au point qu'il ne leur reste d'énergie grise qu'à peine pour cette voix monocorde avec laquelle elles racontent, et on leur en voudra de raconter, la violence que chacun aimerait mieux tue car la dire la rend présente à nouveau et à les entendre parler c'est comme un direct à l'estomac qui vous donne la nausée et c'est pourquoi on leur en voudra d'avoir accepté leurs confidences et à l'avenir les évitera.
Et elle aussi à présent elle en fait partie, de ces femmes à la voix monocorde que l'on hésite à revoir car la guerre qu'elles racontent est trop lourde à porter, depuis longtemps elle en fait partie mais tu le sais seulement maintenant, maintenant elle sent monter en elle cette voix monocorde et ce regard fixe, un peu trop ouvert et focalisé sur rien, un peu effrayant, et elle voit se créer le vide autour d'elle, l'humanité s'éloigner comme respectant une distance sacrée.
Pourtant ce sont les mêmes femmes qui scintillent d'un rire non feint, font des plaisanteries limite, se passionnent dans une conversation, ont la voix qui monte très haut sans presque se briser pour des riens, la voix qui tonne de conviction, les mêmes qui semblent sortir d'une chanson de Fauve, les mêmes les yeux soulignés de noir, les mêmes dans du velours, les mêmes si fortes, les mêmes qui déplacent des montagnes sans que personne ne voie qu'elles sont en même temps à pleurer des rivières, les mêmes qui le plus souvent ne pleurent pas.
Ce sont les mêmes.
La culpabilité, c'est une maladie
Impression tenace et récurrente, en sortant de chaque séance, que j'entrave le processus thérapeutique, que mes paniques, mes angoisses effrénées apportées à dose hebdomadaire se mettent en travers de la méthode, que si je n'étais pas aussi fucked up, la thérapie avancerait mieux et plus rapidement.
Absurde, puisque c'est précisément parce que je suis en vrac que la thérapie a lieu - si je n'étais pas si pleine d'angoisses, il n'y aurait pas de thérapie.
Absurde, puisque c'est précisément parce que je suis en vrac que la thérapie a lieu - si je n'étais pas si pleine d'angoisses, il n'y aurait pas de thérapie.
mardi 27 octobre 2015
Saure
J'ai demi-ouvert un œil jaune sous une peau de pierre. Au premier mouvement j'ai senti craquer tout mon épiderme solidifié, se fissurer de bout en bout ma peau lithique. Je me suis étirée longuement, contorsions complexes, dans tous les sens, lentement redonnant du mouvement à chaque partie de mon corps, chaque frisson ouvrant des failles géologiques, fracturant ma peau de dragon millénaire en plaques tectoniques que je secouais de mon dos, de mon ventre, de mes bras.
J'ai frictionné à la brosse dure ma peau de dragon, délogeant de ses rides canyoniques la poussière des siècles, balayant les écailles fossilisées, éradiquant férocement, plus souple à chaque mouvement, les couches de mon ancienne peau. J'ai brossé à rouge, à vif, sentant monter dans mes veines capillaires une chaleur de volcan, jusqu'à ce que des vestiges de peau morte il ne reste rien.
Alors est apparue ma peau fine et souple de dragon nouveau-né, qui, plissée comme si elle avait été froissée serrée dans un œuf, s'est peu à peu dépliée au rythme de mes amples respirations, mes poumons de dragon fier prenant à chaque inspir davantage de volume, lents et puissants comme le soufflet d'une forge géante. Ma peau neuve s'est déployée, puis déployée à nouveau, et, alors que je croyais qu'elle en avait terminé, s'est déployée encore, épiderme sensible et résistant d'un nouveau dragon immense, et qui croît encore.
J'ai frictionné à la brosse dure ma peau de dragon, délogeant de ses rides canyoniques la poussière des siècles, balayant les écailles fossilisées, éradiquant férocement, plus souple à chaque mouvement, les couches de mon ancienne peau. J'ai brossé à rouge, à vif, sentant monter dans mes veines capillaires une chaleur de volcan, jusqu'à ce que des vestiges de peau morte il ne reste rien.
Alors est apparue ma peau fine et souple de dragon nouveau-né, qui, plissée comme si elle avait été froissée serrée dans un œuf, s'est peu à peu dépliée au rythme de mes amples respirations, mes poumons de dragon fier prenant à chaque inspir davantage de volume, lents et puissants comme le soufflet d'une forge géante. Ma peau neuve s'est déployée, puis déployée à nouveau, et, alors que je croyais qu'elle en avait terminé, s'est déployée encore, épiderme sensible et résistant d'un nouveau dragon immense, et qui croît encore.
mardi 22 septembre 2015
Un progrès
J'étais en train de choisir des pelotes de laine, former une association de nuances qui me plaisait, quand j'ai réalisé avec une lucidité glaçante que ce joli assortiment que je venais de composer, ce contraste de bruns ternes et de vert acide, c'était, tout droit sorties des années 80, les couleurs de la maison de mes parents lorsque j'étais enfant.
Ce rapprochement a d'abord soulevé en moi une vague de nausée et de colère, comme si j'avais malencontreusement posé la main sur quelque chose de gluant et froid - de révoltant. Mais cela n'a duré qu'une seconde - immédiatement après est née en moi, et aussitôt m'a apaisée, la conscience qu'avoir eu une enfance traumatisante n'excluait pas d'avoir aussi, par ailleurs, de bons souvenirs d'enfance. Ou plus exactement : qu'avoir de mon enfance certains souvenirs agréable ne voulait pas dire que je validais celle-ci dans son ensemble. Que je pouvais repenser avec plaisir à certains éléments de mon enfance sans que cela veuille dire que j'avais aimé l'ensemble de celle-ci.
Pour la première fois, mes pelotes de laine à la main, j'ai ressenti ce truc, non pas comme une vérité rationnelle, quelque chose dont on essaye de se persuader en se le répétant mais qui nous demeure désespérément extérieur ; mais au contraire comme un sentiment intime : avoir eu une enfance traumatisante ne m'interdisait pas d'aimer certains aspects non-traumatiques de mon enfance, comme les placards 80's de la cuisine et quelques bons moments en famille. Et sa réciproque : avoir aimé certaines choses de mon enfance ne signifiait pas que j'avais aimé les traumatismes que j'y ai subis.
Pour la première fois j'ai lâché cette culpabilité qui, jusque-là, m'interdisait de m'avouer à moi-même que j'aimais quoi que ce soit de ma vie familiale, comme si cela signifiait que j'aimais ce qu'on m'y avait fait et que, par extension, je l'avais voulu, j'en étais responsable.
Je l'ai compris réellement, ce qui veut dire ressenti profondément. J'avais le droit d'avoir de bons souvenirs de mon enfance et de mon adolescence. J'avais même le droit d'avoir de bons souvenirs de mon père, sans transiger d'un iota sur le mal qu'il m'a fait, sans pour cela prendre sur moi la responsabilité des actions qui restent à jamais les siennes.
Pour la première fois j'ai senti se délier les deux choses - mon enfance, d'une part, et ce que j'y avais subi, d'autre part. Pour la première fois mes émotions ont fait le tri. Deux trucs qui étaient jusque-là inextricablement noués, j'ai pu les percevoir comme sans lien nécessaire entre eux. J'ai pu faire face sans culpabilité aux bons souvenirs de mon enfance.
C'est profondément apaisant - de ne plus avoir à guetter, anxieuse, le moindre signe d'attachement à quelque chose issu de l'enfance comme si c'était la preuve que j'avais aimé, que j'avais voulu ce qu'on m'avait fait. De récupérer au moins quelques lambeaux d'une enfance normale.
Cette idée là - qu'avoir, enfant, aimé sa famille, aimé ses parents, ne signifie pas que l'on doive se sentir responsable de ce qu'ils vous ont fait comme si on y avait consenti, je la porte à présent avec moi comme une force nouvellement acquise.
Je vis sur de plus solides fondations.
Ce rapprochement a d'abord soulevé en moi une vague de nausée et de colère, comme si j'avais malencontreusement posé la main sur quelque chose de gluant et froid - de révoltant. Mais cela n'a duré qu'une seconde - immédiatement après est née en moi, et aussitôt m'a apaisée, la conscience qu'avoir eu une enfance traumatisante n'excluait pas d'avoir aussi, par ailleurs, de bons souvenirs d'enfance. Ou plus exactement : qu'avoir de mon enfance certains souvenirs agréable ne voulait pas dire que je validais celle-ci dans son ensemble. Que je pouvais repenser avec plaisir à certains éléments de mon enfance sans que cela veuille dire que j'avais aimé l'ensemble de celle-ci.
Pour la première fois, mes pelotes de laine à la main, j'ai ressenti ce truc, non pas comme une vérité rationnelle, quelque chose dont on essaye de se persuader en se le répétant mais qui nous demeure désespérément extérieur ; mais au contraire comme un sentiment intime : avoir eu une enfance traumatisante ne m'interdisait pas d'aimer certains aspects non-traumatiques de mon enfance, comme les placards 80's de la cuisine et quelques bons moments en famille. Et sa réciproque : avoir aimé certaines choses de mon enfance ne signifiait pas que j'avais aimé les traumatismes que j'y ai subis.
Pour la première fois j'ai lâché cette culpabilité qui, jusque-là, m'interdisait de m'avouer à moi-même que j'aimais quoi que ce soit de ma vie familiale, comme si cela signifiait que j'aimais ce qu'on m'y avait fait et que, par extension, je l'avais voulu, j'en étais responsable.
Je l'ai compris réellement, ce qui veut dire ressenti profondément. J'avais le droit d'avoir de bons souvenirs de mon enfance et de mon adolescence. J'avais même le droit d'avoir de bons souvenirs de mon père, sans transiger d'un iota sur le mal qu'il m'a fait, sans pour cela prendre sur moi la responsabilité des actions qui restent à jamais les siennes.
Pour la première fois j'ai senti se délier les deux choses - mon enfance, d'une part, et ce que j'y avais subi, d'autre part. Pour la première fois mes émotions ont fait le tri. Deux trucs qui étaient jusque-là inextricablement noués, j'ai pu les percevoir comme sans lien nécessaire entre eux. J'ai pu faire face sans culpabilité aux bons souvenirs de mon enfance.
C'est profondément apaisant - de ne plus avoir à guetter, anxieuse, le moindre signe d'attachement à quelque chose issu de l'enfance comme si c'était la preuve que j'avais aimé, que j'avais voulu ce qu'on m'avait fait. De récupérer au moins quelques lambeaux d'une enfance normale.
Cette idée là - qu'avoir, enfant, aimé sa famille, aimé ses parents, ne signifie pas que l'on doive se sentir responsable de ce qu'ils vous ont fait comme si on y avait consenti, je la porte à présent avec moi comme une force nouvellement acquise.
Je vis sur de plus solides fondations.
lundi 7 septembre 2015
dimanche 6 septembre 2015
Tactile
J'avais levé les yeux de mon livre et du dos de la main, pensive, effleuré le mur de la bibliothèque, son aspect m'ayant donné envie d'en connaître la texture. C'est alors que j'avais rencontré le regard du jeune homme en face de moi, qui m'avait vu faire ce mouvement ; mes yeux dans le vague s'étaient brusquement focalisés ; fragile comme l'anémone de mer, j'avais sous le seul effleurement de son regard replongé le mien dans mes études.
Cette manifestation fugace de ma curiosité tactile avait suffisamment éveillé la sienne pour qu'il profite d'une de mes pauses pour récupérer mes coordonnées dans mon agenda, mais pas assez pour qu'il se comporte autrement qu'en butor une fois le contact noué.
C'était en un autre lieu, un autre siècle. Le souvenir de ce jeune homme est depuis longtemps éteint en mon foyer.
C'était en un autre siècle et aujourd'hui pourtant, chaque fois que je tends la main pour caresser un rocher partiellement recouvert de lichen, les feuilles duveteuses d'un végétal, la grosse trame d'un tissu, chaque fois que s'exprime dans l'espace public ma sensibilité tactile, je me souviens brutalement que je viens de montrer quelque chose de ma vulnérabilité - et du regard je cherche, comme par réflexe, qui aurait pu être témoin de mon geste - qui aurait pu, peut-être, l'interpréter à tort comme une avance, comme un stratagème de séduction à lui adressé - qui aurait pu le prendre comme une autorisation de me maltraiter.
Cette manifestation fugace de ma curiosité tactile avait suffisamment éveillé la sienne pour qu'il profite d'une de mes pauses pour récupérer mes coordonnées dans mon agenda, mais pas assez pour qu'il se comporte autrement qu'en butor une fois le contact noué.
C'était en un autre lieu, un autre siècle. Le souvenir de ce jeune homme est depuis longtemps éteint en mon foyer.
C'était en un autre siècle et aujourd'hui pourtant, chaque fois que je tends la main pour caresser un rocher partiellement recouvert de lichen, les feuilles duveteuses d'un végétal, la grosse trame d'un tissu, chaque fois que s'exprime dans l'espace public ma sensibilité tactile, je me souviens brutalement que je viens de montrer quelque chose de ma vulnérabilité - et du regard je cherche, comme par réflexe, qui aurait pu être témoin de mon geste - qui aurait pu, peut-être, l'interpréter à tort comme une avance, comme un stratagème de séduction à lui adressé - qui aurait pu le prendre comme une autorisation de me maltraiter.
lundi 31 août 2015
Insulter sans offense
J'aime bien "Mange tes morts !", comme insulte. Parce que c'est une insulte qui n'est ni misogyne ni homophobe, ce qui n'est pas si courant, ni discriminatoire pour quelque groupe que ce soit.
Et pourtant, peut-être les Guayaki seraient-ils offensés qu'une de leur pratique funéraire soit utilisée comme insulte.
Et je t'assure, tu veux pas offenser les Guayaki.
Et pourtant, peut-être les Guayaki seraient-ils offensés qu'une de leur pratique funéraire soit utilisée comme insulte.
Et je t'assure, tu veux pas offenser les Guayaki.
lundi 24 août 2015
Le recyclage des ossements
Sur le site, il y a plusieurs squelettes humains presque entiers.
C'est rare finalement de voir de si près des squelettes humains qui ne soient pas des trucs en plastique pour la décoration.
L'un, une tombe plus tardive est venue lui couper la jambe par le milieu, posée en biais par-dessus sans façons.
Les os ont un aspect étrange, plat, comme des rubans. Mais après tout c'est peut-être leur aspect normal, je suis pas si familière des squelettes.
D'un crâne dont les dents sont quand même incroyablement grosses on me dit non en fait ça c'est une tête de veau, c'est normal à l'époque on mettait vraiment n'importe quoi à l'intérieur des murs ça servait de poubelle.
L'ambiance est archéologique, décontractée, pas recueillie pour un sou.
Je suis d'abord étonnée qu'on laisse ces restes comme ça à ciel ouvert pour les visiteurs, même sur un site de fouille. Ça a été un cimetière, ces tombes étaient faites pour rester fermées. N'est-ce pas une profanation d'exposer ces ossements ? Autant d'ossements ? Que fait-on du respect de la mémoire des morts ?
Et puis je me souviens qu'il n'était pas rare à l'époque d'ajouter deux, trois corps par-dessus le premier dans la tombe un fois celui-ci bien racorni. Et ainsi de suite. Que nos concessions actuelles ne sont, la plupart du temps, que temporaires, de cinquante ans au maximum, après quoi, en l'absence de renouvellement, les restes sont discrètement évacués.
Autrement dit : un corps, ça n'a qu'un temps. Les rites funéraires ne s'adressent pas à l'éternité, ils ont une limite temporelle. Une fois cette limite passée, les restes - ossements, débris, poussière - ne sont plus le mort, ne renferment plus sa mémoire.
Le temps du déroulement du rite, c'est le temps nécessaire à la déliaison ; à cesser de voir le défunt dans ces pauvres débris matériels qui ne lui ressemblent en rien. Une fois écoulé le temps jugé nécessaire à cela selon les cultures - parfois plusieurs dizaines d'années, parfois juste le temps de la cérémonie funéraire - ce n'est plus un corps humain, mais un simple déchet. Il n'est plus tabou. L'esprit a fui.
Pourquoi continuerions-nous à voir quelque chose de sacré dans ces os vieux de plusieurs siècles, quand la société même dont ils sont issus leur ôtait ce statut après quelques dizaines d'années ?
Les ossements cessent alors d'être des restes humains et redeviennent ce qu'ils sont exactement - rien qu'un peu de matière. Il est alors possible de les déplacer, de les jeter, de les utiliser comme matériaux de construction. Ou de les regarder sans émotion, pierres parmi les pierres, au milieu des vestiges d'un cimetière abandonné depuis près de mille ans.
C'est rare finalement de voir de si près des squelettes humains qui ne soient pas des trucs en plastique pour la décoration.
L'un, une tombe plus tardive est venue lui couper la jambe par le milieu, posée en biais par-dessus sans façons.
Les os ont un aspect étrange, plat, comme des rubans. Mais après tout c'est peut-être leur aspect normal, je suis pas si familière des squelettes.
D'un crâne dont les dents sont quand même incroyablement grosses on me dit non en fait ça c'est une tête de veau, c'est normal à l'époque on mettait vraiment n'importe quoi à l'intérieur des murs ça servait de poubelle.
L'ambiance est archéologique, décontractée, pas recueillie pour un sou.
Je suis d'abord étonnée qu'on laisse ces restes comme ça à ciel ouvert pour les visiteurs, même sur un site de fouille. Ça a été un cimetière, ces tombes étaient faites pour rester fermées. N'est-ce pas une profanation d'exposer ces ossements ? Autant d'ossements ? Que fait-on du respect de la mémoire des morts ?
Et puis je me souviens qu'il n'était pas rare à l'époque d'ajouter deux, trois corps par-dessus le premier dans la tombe un fois celui-ci bien racorni. Et ainsi de suite. Que nos concessions actuelles ne sont, la plupart du temps, que temporaires, de cinquante ans au maximum, après quoi, en l'absence de renouvellement, les restes sont discrètement évacués.
Autrement dit : un corps, ça n'a qu'un temps. Les rites funéraires ne s'adressent pas à l'éternité, ils ont une limite temporelle. Une fois cette limite passée, les restes - ossements, débris, poussière - ne sont plus le mort, ne renferment plus sa mémoire.
Le temps du déroulement du rite, c'est le temps nécessaire à la déliaison ; à cesser de voir le défunt dans ces pauvres débris matériels qui ne lui ressemblent en rien. Une fois écoulé le temps jugé nécessaire à cela selon les cultures - parfois plusieurs dizaines d'années, parfois juste le temps de la cérémonie funéraire - ce n'est plus un corps humain, mais un simple déchet. Il n'est plus tabou. L'esprit a fui.
Pourquoi continuerions-nous à voir quelque chose de sacré dans ces os vieux de plusieurs siècles, quand la société même dont ils sont issus leur ôtait ce statut après quelques dizaines d'années ?
Les ossements cessent alors d'être des restes humains et redeviennent ce qu'ils sont exactement - rien qu'un peu de matière. Il est alors possible de les déplacer, de les jeter, de les utiliser comme matériaux de construction. Ou de les regarder sans émotion, pierres parmi les pierres, au milieu des vestiges d'un cimetière abandonné depuis près de mille ans.
dimanche 23 août 2015
Dom, sub et identités de genre
Il faudrait sans doute trouver d'autres mots que ceux de dom / sub, qui peuvent rebuter en évoquant des systèmes d'oppression. Car ces termes ne désignent en réalité que très imparfaitement les rapports de domination et de soumission dans les jeux érotiques, qui ne jouent sur l'aliénation que de façon symbolique ; et où, bien loin que l'existence de l'un des partenaires soit niée au profit de l'affirmation de celle de l'autre, comme c'est le cas dans une dynamique oppressive, dans les rapports dom / sub en réalité tout est fait pour le ou la sub, qui est le centre et le but du jeu ; et le respect préalable de la personne du ou de la soumisE est la condition même du jeu de domination / soumission, ce qui en autorise l'existence, ce qui permet à sub de se remettre en confiance entre les mains de dom ; ce qui permet en outre aux rapports dom / sub d'être l'exorcisme et la contestation des rapports d'oppression réels.
Mais surtout, dom et sub, cela peut être n'importe qui. Dom n'est pas nécessairement homme. Sub n'est pas nécessairement femme. Dom n'est pas forcément quelqu'un d'autoritaire dans la vie de tous les jours, sub n'est pas toujours timide et effacéE. Au contraire. Sub et dom peuvent chacun avoir toutes sortes de personnalités en-dehors de ces jeux, parfois en accord, parfois parfaitement à l'opposé de leur rôle de prédilection - vous seriez surpris comme les gens sont différents lorsqu'ils entrent dans le jeu. Il est impossible de deviner a priori si quelqu'un est plutôt dom ou plutôt sub avant d'avoir directement abordé - ou pratiqué - le sujet avec cette personne. Ni, d'ailleurs, si cette personne est bien dans le rôle qu'ielle a choisi ou tout à fait à côté de la plaque.
J'aimerais que l'on considère davantage nos conception des identités de genre femme / homme comme on le fait des rôles dans les jeux de domination / soumission.
Que chacun puisse choisir d'adopter une identité un peu, totalement, ou à divers degrés.
Que cette identité soit quelque chose qui fait l'objet d'un choix, non quelque chose qui s'impose à nous du dehors.
Qu'il ne soit pas meilleur d'être l'un ou l'autre - ou autre chose.
Que l'on puisse sans problème inverser, être selon les jours parfois l'un, parfois l'autre. Selon ce que l'on sent, selon son humeur, comme un projet ou par envie de jouer.
Ou ni l'un ni l'autre. Que l'on puisse périodiquement poser le sac, se mettre en vacances des rôles de la comédie du genre, ou même déclarer de façon permanente que ces rôles-là c'est pas pour nous, pas notre came, que l'on n'a pas envie d'y jouer - et que ça ne pose aucun problème, ni à ceux qui aiment jouer à ces rôles, ni aux autres, parce qu'après tout un jeu n'engage que celleux qui y jouent, et si celleux-là s'y amusent, pourquoi perdraient-ils leur temps à vouloir forcer à y jouer celleux que de toute évidence cela n'amuse pas.
Que ces rôles soient quelque chose que l'on endosse de temps en temps, pour quelques heures, pour en faire quelque chose d'intéressant, non quelque chose que l'on porte jour et nuit comme un masque de fer.
Que l'on puisse commencer à jouer un rôle, en changer ou se désintéresser de ce jeu-là - préférer un autre jeu - à n'importe quel moment de son existence.
Qu'il soit encouragé de jouer avec les codes de ces rôles, ou d'en inventer de nouveaux.
Que chacun puisse choisir sa manière d'interpréter le rôle qu'il choisit, et s'il veut en reprendre tous les aspects traditionnels ou faire son choix parmi ceux-ci.
Ou choisir ce qui lui plaît dans chacun des deux rôles, pourquoi pas.
Que chacun ait conscience que ces rôles sont juste des rôles parmi tant d'autres, et que la distinction masculin / féminin n'existe que comme une parmi une infinité de polarisations possibles des relations humaines - qui, d'ailleurs, ne se bornent pas à des polarisations binaires.
Que personne ne s'autorise à préjuger de ce que l'on est simplement sur notre apparence extérieure - que ce soit quelque chose d'intime et de personnel, non quelque chose que l'on porte écrit sur son front, mais quelque chose que seuls les proches, ou tout simplement ceux que cela concerne, savent.
Et que cela ne pose de problème à personne de ne pas savoir si l'on s'identifie comme homme ou femme - car chacun comprendrait que ce n'est qu'une toute petite partie de ce que l'on est, avec un champ d'application restreint, et absolument sans objet dans la plupart des situations de la vie.
A celleux qui craignent de ne plus pouvoir, dans ce contexte, trouver facilement d'"homme" ou de "femme", qu'ielles se rassurent : le fait que ce ne soit pas marqué sur leur figure n'a jamais empêché les adeptes de domination / soumission de s'apparier selon leurs goûts et leurs attentes. La communication, la communication, la communication, mes chériEs. Et le plaisir de la recherche, comme pour les girolles.
A celleux inquiets à l'idée que peut-être ielles se trouveront fleureter avec quelqu'un sans savoir si cette personne s'identifie comme homme ou comme femme, qu'ielles se demandent ce qui est le plus important pour eux, que cette personne leur plaise ou qu'elle rentre dans la case qu'ielles ont définie par avance comme leur terrain de chasse (qu'ielles en profitent pour se demander si ça leur plaît vraiment de considérer la séduction comme une chasse. Si ça leur plaît c'est OK, c'est un rôle comme un autre, à condition de ne pas confondre le rôle avec la réalité parce que ce serait dangereux ; mais c'est important de savoir que c'est pas obligé). Et qu'ielles se rassurent : si mes vœux se réalisaient, personne, mais vraiment personne ne songerait à préjuger de leur identité de genre en se fondant sur celle de la personne qu'ielles fréquentent. Et personne ne songerait non plus à considérer qu'une identité de genre est glorieuse et toutes les autres dégradantes.
A celleux enfin qui crieront que je veux rendre tout le monde pareil et que je suis contre les différences, ou qui ont l'impression que je veux les forcer à ou leur interdire quoi que ce soit, qu'ielles relisent ce texte plus lentement. Avec tous les mots. Dans l'ordre. Plusieurs fois. Jusqu'à compréhension.
Chacun, s'il s'examine avec honnêteté, prendra conscience qu'en réalité, c'est déjà le cas, les identités de genre femme / homme sont des rôles. Choisir un rôle - pas nécessairement un de ces deux-là - et l'interpréter à notre manière, c'est ce que nous faisons déjà tous, ou que nous aimerions faire. Il ne s'agit que de faire advenir cette réalité, de la faire passer d'inconsciente à concrète - qu'elle fleurisse, pour que d'un seul coup la vie entière devienne plus exaltante.
Mais surtout, dom et sub, cela peut être n'importe qui. Dom n'est pas nécessairement homme. Sub n'est pas nécessairement femme. Dom n'est pas forcément quelqu'un d'autoritaire dans la vie de tous les jours, sub n'est pas toujours timide et effacéE. Au contraire. Sub et dom peuvent chacun avoir toutes sortes de personnalités en-dehors de ces jeux, parfois en accord, parfois parfaitement à l'opposé de leur rôle de prédilection - vous seriez surpris comme les gens sont différents lorsqu'ils entrent dans le jeu. Il est impossible de deviner a priori si quelqu'un est plutôt dom ou plutôt sub avant d'avoir directement abordé - ou pratiqué - le sujet avec cette personne. Ni, d'ailleurs, si cette personne est bien dans le rôle qu'ielle a choisi ou tout à fait à côté de la plaque.
J'aimerais que l'on considère davantage nos conception des identités de genre femme / homme comme on le fait des rôles dans les jeux de domination / soumission.
Que chacun puisse choisir d'adopter une identité un peu, totalement, ou à divers degrés.
Que cette identité soit quelque chose qui fait l'objet d'un choix, non quelque chose qui s'impose à nous du dehors.
Qu'il ne soit pas meilleur d'être l'un ou l'autre - ou autre chose.
Que l'on puisse sans problème inverser, être selon les jours parfois l'un, parfois l'autre. Selon ce que l'on sent, selon son humeur, comme un projet ou par envie de jouer.
Ou ni l'un ni l'autre. Que l'on puisse périodiquement poser le sac, se mettre en vacances des rôles de la comédie du genre, ou même déclarer de façon permanente que ces rôles-là c'est pas pour nous, pas notre came, que l'on n'a pas envie d'y jouer - et que ça ne pose aucun problème, ni à ceux qui aiment jouer à ces rôles, ni aux autres, parce qu'après tout un jeu n'engage que celleux qui y jouent, et si celleux-là s'y amusent, pourquoi perdraient-ils leur temps à vouloir forcer à y jouer celleux que de toute évidence cela n'amuse pas.
Que ces rôles soient quelque chose que l'on endosse de temps en temps, pour quelques heures, pour en faire quelque chose d'intéressant, non quelque chose que l'on porte jour et nuit comme un masque de fer.
Que l'on puisse commencer à jouer un rôle, en changer ou se désintéresser de ce jeu-là - préférer un autre jeu - à n'importe quel moment de son existence.
Qu'il soit encouragé de jouer avec les codes de ces rôles, ou d'en inventer de nouveaux.
Que chacun puisse choisir sa manière d'interpréter le rôle qu'il choisit, et s'il veut en reprendre tous les aspects traditionnels ou faire son choix parmi ceux-ci.
Ou choisir ce qui lui plaît dans chacun des deux rôles, pourquoi pas.
Que chacun ait conscience que ces rôles sont juste des rôles parmi tant d'autres, et que la distinction masculin / féminin n'existe que comme une parmi une infinité de polarisations possibles des relations humaines - qui, d'ailleurs, ne se bornent pas à des polarisations binaires.
Que personne ne s'autorise à préjuger de ce que l'on est simplement sur notre apparence extérieure - que ce soit quelque chose d'intime et de personnel, non quelque chose que l'on porte écrit sur son front, mais quelque chose que seuls les proches, ou tout simplement ceux que cela concerne, savent.
Et que cela ne pose de problème à personne de ne pas savoir si l'on s'identifie comme homme ou femme - car chacun comprendrait que ce n'est qu'une toute petite partie de ce que l'on est, avec un champ d'application restreint, et absolument sans objet dans la plupart des situations de la vie.
A celleux qui craignent de ne plus pouvoir, dans ce contexte, trouver facilement d'"homme" ou de "femme", qu'ielles se rassurent : le fait que ce ne soit pas marqué sur leur figure n'a jamais empêché les adeptes de domination / soumission de s'apparier selon leurs goûts et leurs attentes. La communication, la communication, la communication, mes chériEs. Et le plaisir de la recherche, comme pour les girolles.
A celleux inquiets à l'idée que peut-être ielles se trouveront fleureter avec quelqu'un sans savoir si cette personne s'identifie comme homme ou comme femme, qu'ielles se demandent ce qui est le plus important pour eux, que cette personne leur plaise ou qu'elle rentre dans la case qu'ielles ont définie par avance comme leur terrain de chasse (qu'ielles en profitent pour se demander si ça leur plaît vraiment de considérer la séduction comme une chasse. Si ça leur plaît c'est OK, c'est un rôle comme un autre, à condition de ne pas confondre le rôle avec la réalité parce que ce serait dangereux ; mais c'est important de savoir que c'est pas obligé). Et qu'ielles se rassurent : si mes vœux se réalisaient, personne, mais vraiment personne ne songerait à préjuger de leur identité de genre en se fondant sur celle de la personne qu'ielles fréquentent. Et personne ne songerait non plus à considérer qu'une identité de genre est glorieuse et toutes les autres dégradantes.
A celleux enfin qui crieront que je veux rendre tout le monde pareil et que je suis contre les différences, ou qui ont l'impression que je veux les forcer à ou leur interdire quoi que ce soit, qu'ielles relisent ce texte plus lentement. Avec tous les mots. Dans l'ordre. Plusieurs fois. Jusqu'à compréhension.
Chacun, s'il s'examine avec honnêteté, prendra conscience qu'en réalité, c'est déjà le cas, les identités de genre femme / homme sont des rôles. Choisir un rôle - pas nécessairement un de ces deux-là - et l'interpréter à notre manière, c'est ce que nous faisons déjà tous, ou que nous aimerions faire. Il ne s'agit que de faire advenir cette réalité, de la faire passer d'inconsciente à concrète - qu'elle fleurisse, pour que d'un seul coup la vie entière devienne plus exaltante.
samedi 22 août 2015
Je te connais mieux que toi-même
Il y a ces gens, quand ils vous parlent, ils vous donnent l'impression qu'ils vous connaissent plus intimement que vous-même, chacun de leurs mots éclaire votre intériorité, d'une phrase ils dénouent les pelotes de nœuds indescriptibles avec lesquelles vous vous débattiez vainement.
Et d'autres qui semblent vouloir vous convaincre que votre corps est constitué à 70% de cuillères-souvenir.
Et d'autres qui semblent vouloir vous convaincre que votre corps est constitué à 70% de cuillères-souvenir.
jeudi 20 août 2015
Méditation 1
Je t'ai devancée, Fortune, et j'ai fait pièce à toutes tes intrusions.
Comme il est en réalité très difficile, prenant cela pour but, de faire le vide dans son esprit, je décidai d'explorer celui-ci comme une chambre vide. Ce n'était pas une phrase, une idée ou un souhait, mais une expérience : éprouver cette sensation qui est la mienne d'avoir en moi un lieu calme et silencieux, prendre le temps de parcourir cette chambre vide.
La chambre est calme et claire. Elle n'est pas immense - on ne peut s'y perdre - mais sa nudité donne une agréable sensation d'espace. La température y est idéale, et un délicieux courant frais la traverse, juste assez pour animer l'air. Je profite de l'impression de paix que je trouve dans cette chambre, je la parcours à loisir, son calme m'imprègne, je suis tout entière présente à cette expérience, mais d'une présence qui n'a rien de frénétique. Mon regard parcourt la pièce autour de moi, je me déplace un peu, je suis en ce lieu parfaitement posée, un sentiment de clarté dans mes pensées.
Une découverte que je fais et qui me surprend, c'est que je n'ai pas besoin de rejeter le trouble hors de la pièce - hors de mon esprit - car il n'y est pas. Il reste dehors. Il ne peut y entrer. J'ai cherché, pratique courante en méditation, à le saisir pour l'expulser, mais impossible : je ne peux même pas me le représenter dans cette chambre vide. Il n'y est pas présent du tout. Je jouis de ce lieu intérieur sans trouble, et qui m'est donné tel. Ce n'est pas une tranquillité conquise de haute lutte - ce qui serait paradoxal - mais l'état dans lequel je trouve mon lieu intérieur, et que je goûte lorsque j'y porte mon attention.
Je découvre ensuite que la chambre n'est pas tout à fait vide. Il y a quelques meubles ou, plus exactement, quelques pôles. Il y a un lieu pour travailler, écrire, penser. Il y a un lieu pour se reposer. Les deux sont accueillants. Presque aucun livre, et nul autre objet. Les murs sont d'un blanc aimable, réfléchissant la douce lumière.
Le courant d'air frais que je sentais caresser mon visage provient de hautes fenêtres vers lesquelles je me tourne. Elles surplombent un magnifique paysage de villes, de collines et de rivières où le regard porte loin. A l'horizon, la mer. La lumière est douce, ensoleillée et légèrement brumeuse comme dans un tableau d'un peintre flamand. La chambre se situe en hauteur mais pourtant je n'éprouve aucun vertige. Elle est ouverte sur le monde - et parvenue au terme de cette méditation j'ouvre les yeux.
Comme il est en réalité très difficile, prenant cela pour but, de faire le vide dans son esprit, je décidai d'explorer celui-ci comme une chambre vide. Ce n'était pas une phrase, une idée ou un souhait, mais une expérience : éprouver cette sensation qui est la mienne d'avoir en moi un lieu calme et silencieux, prendre le temps de parcourir cette chambre vide.
La chambre est calme et claire. Elle n'est pas immense - on ne peut s'y perdre - mais sa nudité donne une agréable sensation d'espace. La température y est idéale, et un délicieux courant frais la traverse, juste assez pour animer l'air. Je profite de l'impression de paix que je trouve dans cette chambre, je la parcours à loisir, son calme m'imprègne, je suis tout entière présente à cette expérience, mais d'une présence qui n'a rien de frénétique. Mon regard parcourt la pièce autour de moi, je me déplace un peu, je suis en ce lieu parfaitement posée, un sentiment de clarté dans mes pensées.
Une découverte que je fais et qui me surprend, c'est que je n'ai pas besoin de rejeter le trouble hors de la pièce - hors de mon esprit - car il n'y est pas. Il reste dehors. Il ne peut y entrer. J'ai cherché, pratique courante en méditation, à le saisir pour l'expulser, mais impossible : je ne peux même pas me le représenter dans cette chambre vide. Il n'y est pas présent du tout. Je jouis de ce lieu intérieur sans trouble, et qui m'est donné tel. Ce n'est pas une tranquillité conquise de haute lutte - ce qui serait paradoxal - mais l'état dans lequel je trouve mon lieu intérieur, et que je goûte lorsque j'y porte mon attention.
Je découvre ensuite que la chambre n'est pas tout à fait vide. Il y a quelques meubles ou, plus exactement, quelques pôles. Il y a un lieu pour travailler, écrire, penser. Il y a un lieu pour se reposer. Les deux sont accueillants. Presque aucun livre, et nul autre objet. Les murs sont d'un blanc aimable, réfléchissant la douce lumière.
Le courant d'air frais que je sentais caresser mon visage provient de hautes fenêtres vers lesquelles je me tourne. Elles surplombent un magnifique paysage de villes, de collines et de rivières où le regard porte loin. A l'horizon, la mer. La lumière est douce, ensoleillée et légèrement brumeuse comme dans un tableau d'un peintre flamand. La chambre se situe en hauteur mais pourtant je n'éprouve aucun vertige. Elle est ouverte sur le monde - et parvenue au terme de cette méditation j'ouvre les yeux.
mercredi 19 août 2015
Le dévoilement
"Il est clair que, derrière le rideau, il n'y a rien, à moins que nous ne le traversions nous-même, pour qu'il y ait à la fois quelque chose à voir - et quelqu'un pour le voir."
Parfois je perçois le monde comme à travers une paroi de plexiglas.
Tout me semble lointain, je ne suis pas vraiment là. Ce n'est pas mon esprit qui vagabonde, mais les personnes avec qui je suis, je ne ressens pas leur présence, les émotions que je devrais éprouver, elles ne se produisent pas.
Peut-être que cette paroi invisible est là pour me protéger, comme les bébés bulle ou les grands brûlés. Mais elle me retranche également.
J'ai appris à ne pas trop m'en inquiéter. Bien sûr, c'est très désagréable. C'est même affreux. Mais à présent, quand cela se produit, je sais que cela ne correspond pas à une altération de mes relations avec autrui; je sais que c'est simplement cette paroi invisible qui s'est remise en place, qu'elle altère, momentanément, mon contact avec la réalité, mais que celui-ci reviendra. Il suffit d'attendre. Je patiente alors.
Le monde, et les émotions qu'il génère, me parviennent comme à travers de minuscules trous d'épingle dans la paroi. Tout petits points de lumière sur un ciel - non pas obscur, mais opaque. Comme de rares étoiles se dévoilant par une nuit nuageuse.
Ces étoiles, il faut les saisir, les remarquer, sourire à leur éclat. C'est important. Car ce qu'elles disent, c'est qu'il y a, loin, là-bas, à des années-lumières, inaccessible, mais bien réel, un grand soleil qui réchauffe de ses feux ce qui l'entoure.
Ce grand soleil, pour le moment, ne t'apparaît que comme une lumière minuscule et glacée, tête d'épingle dans une immensité obscure. Mais bientôt tu auras traversé la distance, et la chaleur de ses rayons baignera ton corps tout entier.
Ces points de lumière vive m'indiquent la direction. Je sais qu'en les suivant, je pourrai rentrer chez moi.
Car contrairement aux étoiles du ciel, mes émotions ne sont pas à des années-lumière : elles sont là, à portée de la main. Juste derrière la paroi.
mardi 11 août 2015
Chateau d'eau
Je ne me suis jamais faite à cet endroit. Il a instantanément crispé chaque pouce de ma peau, et ce n'est que lorsque j'ai été certaine de bientôt le quitter que j'ai pu m'y détendre.
Dehors, il y a ce bruit permanent, rappellent le sifflement que fait parfois l'eau dans les canalisations. Sans doute une clim.
A l'intérieur, le bruit de la ventilation, grondement sourd, puissant, envahissant comme lorsque l'on ouvre grand un robinet, faisant jaillir l'eau à gros bouillons.
Ces bruits évoquant l'eau, ils sont pourtant hostiles. Car ce n'est pas l'eau joyeuse, bondissante des fontaines et des ruisseaux. C'est l'eau des karcher, l'eau assourdissante des barrages hydroélectriques.
Pas le frais murmure de la nature, mais un eau industrielle.
Une eau dure comme un mur de béton en travers de ma tête.
Une eau si solide que l'on pourrait se fracasser contre.
Dehors, il y a ce bruit permanent, rappellent le sifflement que fait parfois l'eau dans les canalisations. Sans doute une clim.
A l'intérieur, le bruit de la ventilation, grondement sourd, puissant, envahissant comme lorsque l'on ouvre grand un robinet, faisant jaillir l'eau à gros bouillons.
Ces bruits évoquant l'eau, ils sont pourtant hostiles. Car ce n'est pas l'eau joyeuse, bondissante des fontaines et des ruisseaux. C'est l'eau des karcher, l'eau assourdissante des barrages hydroélectriques.
Pas le frais murmure de la nature, mais un eau industrielle.
Une eau dure comme un mur de béton en travers de ma tête.
Une eau si solide que l'on pourrait se fracasser contre.
vendredi 26 juin 2015
"Tu es beau"
Lorsque je leur dis "tu es beau", certains sont gênés.
Certains le prennent à la blague.
Certain ne savent pas recevoir le compliment.
Certains se sentent obligés de dire "merci, toi aussi" comme si c'était "bon appétit".
Certains ont la voix qui crisse comme une craie, visiblement envie de fuir.
Certains n'ont pas d'autre choix que de contredire pour surmonter leur embarras.
Certains sont tout surpris.
Certains jouent l'étonnement.
Toi, non.
Toi : ce regard impénétrable dans tes yeux sombres, qui veut dire quelque chose comme : je sais. Et après ?
Et tu as raison.
Il n'y a pas de sens à la beauté.
Rien n'est davantage une impasse.
Beauté, et puis ça s'arrête là.
Que dire de plus ?
La beauté, c'est la fin.
Elle est là, évidente, et ça ne nous aide en rien.
Elle n'est d'aucun mérite, profondément absurde.
Comme un drap jeté sur les choses, comme un inspir profond.
Venant d'on ne sait où, ni pour combien de temps.
Fardeau seulement si on la charge.
Il n'y a pas de sens à la beauté.
Pas de raison d'en être fier.
Ni honteux d'ailleurs.
Alors pourquoi faudrait-il que tu fasses semblant de ne pas le savoir, que tu es beau ?
Certains le prennent à la blague.
Certain ne savent pas recevoir le compliment.
Certains se sentent obligés de dire "merci, toi aussi" comme si c'était "bon appétit".
Certains ont la voix qui crisse comme une craie, visiblement envie de fuir.
Certains n'ont pas d'autre choix que de contredire pour surmonter leur embarras.
Certains sont tout surpris.
Certains jouent l'étonnement.
Toi, non.
Toi : ce regard impénétrable dans tes yeux sombres, qui veut dire quelque chose comme : je sais. Et après ?
Et tu as raison.
Il n'y a pas de sens à la beauté.
Rien n'est davantage une impasse.
Beauté, et puis ça s'arrête là.
Que dire de plus ?
La beauté, c'est la fin.
Elle est là, évidente, et ça ne nous aide en rien.
Elle n'est d'aucun mérite, profondément absurde.
Comme un drap jeté sur les choses, comme un inspir profond.
Venant d'on ne sait où, ni pour combien de temps.
Fardeau seulement si on la charge.
Il n'y a pas de sens à la beauté.
Pas de raison d'en être fier.
Ni honteux d'ailleurs.
Alors pourquoi faudrait-il que tu fasses semblant de ne pas le savoir, que tu es beau ?
jeudi 25 juin 2015
Je suis une bulle
Ce serait comme si nous étions des bulles flottant dans les courants d'air chaud au-dessus d'une vaste étendue d'eau. La hauteur à laquelle nous volerions, notre éloignement de la surface représenterait notre niveau d'énergie - momentum.
Pour la plupart, nous flottons allègrement dans les airs à bonne distance de la surface. Il y a parfois de petits sauts d'altitude, des cahots et des trous d'air, mais cela ne fait pas une grande différence : l'eau dangereuse est si loin. On ressent à peine les variations. Les bulles qui flottent ainsi loin dans les airs n'hésitent pas à emprunter tous les courants, ascendants, descendants, à prendre et gagner de la hauteur, confiante dans le fait qu'elles ont de la marge, qu'elles regagneront avec facilité l'énergie qu'elles perdent.
Moi, non. Moi, je suis cette bulle qui passe lourdement au ras de la surface, à peine au-dessus, à la toucher.
La moindre variation dans mon niveau d'énergie et je me noie.
Passer sous la surface des eaux, cela veut dire : idées noires, renfermement, autodestruction.
Parfois même la bulle pourrait être dissoute dans l'eau. N'en plus jamais ressortir. L'anéantissement.
Passer sous la surface des eaux, cela veut dire également : dépenser davantage d'énergie pour s'en arracher. Et la bulle qui ressort flotte alors encore plus bas, encore plus lente.
Il lui en faudra du temps pour regagner un peu de hauteur.
Je suis cette bulle moribonde, toujours en péril d'éclater en heurtant la surface des eaux.
Toujours cette menace si proche, cette masse obscure et profonde sous moi, insondable, dans laquelle au moindre accroc je sombre.
Pour la plupart, nous flottons allègrement dans les airs à bonne distance de la surface. Il y a parfois de petits sauts d'altitude, des cahots et des trous d'air, mais cela ne fait pas une grande différence : l'eau dangereuse est si loin. On ressent à peine les variations. Les bulles qui flottent ainsi loin dans les airs n'hésitent pas à emprunter tous les courants, ascendants, descendants, à prendre et gagner de la hauteur, confiante dans le fait qu'elles ont de la marge, qu'elles regagneront avec facilité l'énergie qu'elles perdent.
Moi, non. Moi, je suis cette bulle qui passe lourdement au ras de la surface, à peine au-dessus, à la toucher.
La moindre variation dans mon niveau d'énergie et je me noie.
Passer sous la surface des eaux, cela veut dire : idées noires, renfermement, autodestruction.
Parfois même la bulle pourrait être dissoute dans l'eau. N'en plus jamais ressortir. L'anéantissement.
Passer sous la surface des eaux, cela veut dire également : dépenser davantage d'énergie pour s'en arracher. Et la bulle qui ressort flotte alors encore plus bas, encore plus lente.
Il lui en faudra du temps pour regagner un peu de hauteur.
Je suis cette bulle moribonde, toujours en péril d'éclater en heurtant la surface des eaux.
Toujours cette menace si proche, cette masse obscure et profonde sous moi, insondable, dans laquelle au moindre accroc je sombre.
Traverser la limite
Je te parle de ma peur du vide, de ces images de défenestration - la mienne ou celle des autres - qui m'envahissent ces temps-ci dès que je suis à un balcon, à une fenêtre, ou simplement sur une hauteur.
Je te raconte comme j'essaye de me battre contre cette phobie, de ne pas la laisser me dominer, de ne pas laisser la peur me tenir éloignée de ces lieux élevés fortifiés par le savoir des sages d'où la vue est pourtant si intéressante.
Au bout d'un moment tu me fais remarquer que, quand je parle de surmonter cette peur, j'emploie quand même un peu trop l'expression "passer par-dessus" ou "sauter le pas".
On va en rester là.
Je te raconte comme j'essaye de me battre contre cette phobie, de ne pas la laisser me dominer, de ne pas laisser la peur me tenir éloignée de ces lieux élevés fortifiés par le savoir des sages d'où la vue est pourtant si intéressante.
Au bout d'un moment tu me fais remarquer que, quand je parle de surmonter cette peur, j'emploie quand même un peu trop l'expression "passer par-dessus" ou "sauter le pas".
On va en rester là.
mercredi 17 juin 2015
S'appuyer sur l'air
Un rêve délicieux en fin de nuit. Je rêvais que je pouvais voler. Rien d'un super-pouvoir : cela s'apparentait à de la natation, mais dans l'air. Ma maîtrise de l'affaire était assez faible, ma progression lente, mes mouvements maladroits. Pourtant, je pouvais nager la brasse ou le crawl, à un mètre du sol, et progressivement prendre un peu de hauteur.
Je montrais cela à quelques amis, leur expliquant que ce n'était pas vraiment compliqué, que tout le monde pouvait y arriver, qu'il fallait simplement une gestion assez fine de son équilibre pour parvenir à s'appuyer sur l'air, un fluide bien moins dense que l'eau. Bien répartir son poids sur la surface. Je n'y arrivais pas si bien que ça, mais c'était un début, et c'était déjà incroyable.
Tout le monde peut y arriver.
Pas un rêve d'hybris, j'étais raisonnable, progressive, je partais toujours du sol, j'évitais les décollages du 3e étage. Je n'étais pas si confiante en mes capacités. Je volais avec prudence.
L'attitude des gens présents était parfaite. Ni envieux ni jaloux, ils ne cherchaient pas à me faire redescendre sur terre, ils ne prenaient pas mes efforts pour de la vantardise. Ils ne se moquaient pas de ma maîtrise imparfaite du vol, ils me donnaient confiance malgré ma maladresse. Ils s'intéressaient, m'encourageaient, mais avec discrétion et pudeur, sans étalage d'enthousiasme suspect. Eux qui ne savaient pas voler s'intéressaient à la démonstration comme à quelque chose auquel ils n'avaient jamais pensé mais qui leur paraissait une bonne idée, quelque chose à essayer, à accueillir dans leur vie. Ils avaient aussi d'autres discussions, d'autres intérêts, ils n'étaient pas sans cesse à me fixer.
J'étais la pionnière malhabile de quelque chose de nouveau, et ceux qui assistaient à cela me savaient gré de tenter, sans chercher à amoindrir ce que je faisais en raison de son caractère mal dégrossi, imparfait, tentatif. Sans doute, s'ils s'y mettaient aussi, beaucoup d'entre eux deviendraient-ils des nageurs atmosphériques bien plus habiles que moi, servis par des qualités personnelles plus adéquates que les miennes. Mais c'était une pensée agréable, car je ne montrais pas ma technique pour dire "moi et pas vous", mais "venez aussi".
La course à l'ego, les compétitions d'orgueil étaient absentes de nos rapports. Tout était fluide et sincère. Chacun aspirait au bien.
Je nageais dans l'air au-dessus de la ville, au-dessus des jardins. Et comme c'était à Venise, à un moment l'idée me frappait que, nageant dans les airs, je n'avais pas à me borner aux endroits que j'aurais pu atteindre à pieds ; alors je prenais mon envol au-dessus des canaux, je passais sous le pont des soupirs.
Ce rêve était si désaltérant. Il parle de tant de choses.
Je montrais cela à quelques amis, leur expliquant que ce n'était pas vraiment compliqué, que tout le monde pouvait y arriver, qu'il fallait simplement une gestion assez fine de son équilibre pour parvenir à s'appuyer sur l'air, un fluide bien moins dense que l'eau. Bien répartir son poids sur la surface. Je n'y arrivais pas si bien que ça, mais c'était un début, et c'était déjà incroyable.
Tout le monde peut y arriver.
Pas un rêve d'hybris, j'étais raisonnable, progressive, je partais toujours du sol, j'évitais les décollages du 3e étage. Je n'étais pas si confiante en mes capacités. Je volais avec prudence.
L'attitude des gens présents était parfaite. Ni envieux ni jaloux, ils ne cherchaient pas à me faire redescendre sur terre, ils ne prenaient pas mes efforts pour de la vantardise. Ils ne se moquaient pas de ma maîtrise imparfaite du vol, ils me donnaient confiance malgré ma maladresse. Ils s'intéressaient, m'encourageaient, mais avec discrétion et pudeur, sans étalage d'enthousiasme suspect. Eux qui ne savaient pas voler s'intéressaient à la démonstration comme à quelque chose auquel ils n'avaient jamais pensé mais qui leur paraissait une bonne idée, quelque chose à essayer, à accueillir dans leur vie. Ils avaient aussi d'autres discussions, d'autres intérêts, ils n'étaient pas sans cesse à me fixer.
J'étais la pionnière malhabile de quelque chose de nouveau, et ceux qui assistaient à cela me savaient gré de tenter, sans chercher à amoindrir ce que je faisais en raison de son caractère mal dégrossi, imparfait, tentatif. Sans doute, s'ils s'y mettaient aussi, beaucoup d'entre eux deviendraient-ils des nageurs atmosphériques bien plus habiles que moi, servis par des qualités personnelles plus adéquates que les miennes. Mais c'était une pensée agréable, car je ne montrais pas ma technique pour dire "moi et pas vous", mais "venez aussi".
La course à l'ego, les compétitions d'orgueil étaient absentes de nos rapports. Tout était fluide et sincère. Chacun aspirait au bien.
Je nageais dans l'air au-dessus de la ville, au-dessus des jardins. Et comme c'était à Venise, à un moment l'idée me frappait que, nageant dans les airs, je n'avais pas à me borner aux endroits que j'aurais pu atteindre à pieds ; alors je prenais mon envol au-dessus des canaux, je passais sous le pont des soupirs.
Ce rêve était si désaltérant. Il parle de tant de choses.
vendredi 12 juin 2015
Ode à une tête de noeud
J'avais commencé à écrire ce truc en alexandrins, et puis finalement je me suis dit que cette forme patriarcale sclérosée pouvait se niquer. Mes vers auront autant de pieds qu'une manif du MLF : parfois beaucoup, parfois peu.
T'étais pas vraiment beau
Pas vraiment une lumière non plus
Honnêtement, je t'aurais pas touché du bout des doigts, tu sais
Il m'en faut plus pour me faire vibrer
Quoi je sais pas te dire, un peu d'humain, quelque chose de perso
Mais y'avait juste ce truc que t'as fait
Qui m'intriguait
Qui me faisait ardemment désirer te rencontrer
Y'avait juste ce truc, je me demandais
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Je veux dire, t'imagines quoi ?
Qu'un gros plan sur ta queue, c'est ce qu'il y a de plus attirant chez toi ?
C'est ton idée du bouquet de fleurs ?
(Pas que je sois pour les bouquets de fleurs, note bien)
Tu penses que ça va plaire à qui ?
Sérieux, ça a déjà marché ?
T'as déjà une meuf qui t'a répondu
"Oooh, jolie bite" ?
Tu t'es dit que ça me ferait plaisir ? Non mais
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
J'étais tellement surprise, tu sais
J'ai pas tous les jours la bite d'un inconnu dans ma boîte trashmail
J'ai été tentée de couper la communication
J'ai été tentée, j'avoue
Une grosse seconde
Et puis après j'ai rien dit je me suis dit
Roh non c'est pas possible
Faut pas laisser passer une occasion comme ça
Faut absolument que je lui demande
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Patiente, bonne copine
Je t'ai laissé croire ce que tu voulais
Fait la conversation, proposé la rencontre
Mais je voulais tellement savoir, t'imagines pas
Si c'était pure connerie, ignorance crasse
Enfin je voulais connaître tes motifs
T'interroger sincèrement
En mode sociologue, curieuse, impartiale
Te poser la question au détour d'un café :
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
ça t'arrive souvent, d'envoyer ta bite à des inconnues ?
T'en attends quoi ? ça te fait plaisir sur le moment ?
Oh, mes questions, je m'attendais pas à ce qu'elles te plaisent
Qu'elles te gênent, qu'elles te prennent de court peut-être
Je voulais voir ta tête
Je me préparais à l'accès de colère idiot
La violence de l'homme insulté dans sa verge
Lors c'est en lieu public que j'aurais demandé
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Mais tu t'es douté de quelque chose
Un éclair de conscience dans ta tête de noeud
Je sais pas où j'ai merdé
J'ai peut-être un peu trop souligné
Que ma chatte c'était pas open bar
Que j'allais pas m'habiller sexy, ni mettre des strings pour toi
Ah ! Chiens de réflexes féministes ! Tu annules
Quand je touchais au but, si impatiente de te demander
Calme, un sourire gourmand aux lèvres
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
La question à jamais restera sans réponse
Et ma curiosité insatisfaite, vide ainsi que ma trash mailbox
Depuis longtemps delete
Sérieux, qu'est-ce que tu voulais que j'en fasse, ta bite
J'allais pas en faire des confitures.
T'étais pas vraiment beau
Pas vraiment une lumière non plus
Honnêtement, je t'aurais pas touché du bout des doigts, tu sais
Il m'en faut plus pour me faire vibrer
Quoi je sais pas te dire, un peu d'humain, quelque chose de perso
Mais y'avait juste ce truc que t'as fait
Qui m'intriguait
Qui me faisait ardemment désirer te rencontrer
Y'avait juste ce truc, je me demandais
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Je veux dire, t'imagines quoi ?
Qu'un gros plan sur ta queue, c'est ce qu'il y a de plus attirant chez toi ?
C'est ton idée du bouquet de fleurs ?
(Pas que je sois pour les bouquets de fleurs, note bien)
Tu penses que ça va plaire à qui ?
Sérieux, ça a déjà marché ?
T'as déjà une meuf qui t'a répondu
"Oooh, jolie bite" ?
Tu t'es dit que ça me ferait plaisir ? Non mais
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
J'étais tellement surprise, tu sais
J'ai pas tous les jours la bite d'un inconnu dans ma boîte trashmail
J'ai été tentée de couper la communication
J'ai été tentée, j'avoue
Une grosse seconde
Et puis après j'ai rien dit je me suis dit
Roh non c'est pas possible
Faut pas laisser passer une occasion comme ça
Faut absolument que je lui demande
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Patiente, bonne copine
Je t'ai laissé croire ce que tu voulais
Fait la conversation, proposé la rencontre
Mais je voulais tellement savoir, t'imagines pas
Si c'était pure connerie, ignorance crasse
Enfin je voulais connaître tes motifs
T'interroger sincèrement
En mode sociologue, curieuse, impartiale
Te poser la question au détour d'un café :
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
ça t'arrive souvent, d'envoyer ta bite à des inconnues ?
T'en attends quoi ? ça te fait plaisir sur le moment ?
Oh, mes questions, je m'attendais pas à ce qu'elles te plaisent
Qu'elles te gênent, qu'elles te prennent de court peut-être
Je voulais voir ta tête
Je me préparais à l'accès de colère idiot
La violence de l'homme insulté dans sa verge
Lors c'est en lieu public que j'aurais demandé
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Mais tu t'es douté de quelque chose
Un éclair de conscience dans ta tête de noeud
Je sais pas où j'ai merdé
J'ai peut-être un peu trop souligné
Que ma chatte c'était pas open bar
Que j'allais pas m'habiller sexy, ni mettre des strings pour toi
Ah ! Chiens de réflexes féministes ! Tu annules
Quand je touchais au but, si impatiente de te demander
Calme, un sourire gourmand aux lèvres
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
Pourquoi tu m'envoies la photo de ta bite ?
La question à jamais restera sans réponse
Et ma curiosité insatisfaite, vide ainsi que ma trash mailbox
Depuis longtemps delete
Sérieux, qu'est-ce que tu voulais que j'en fasse, ta bite
J'allais pas en faire des confitures.
mercredi 20 mai 2015
Souci
Il y a celleux dont tu sais qu'ils essayeront à tout prix de te rendre plus gaie et qu'ils t'en voudront si à la fin tu n'es pas plus gaie.
Celleux qui t'envoient des messages qui disent "comment ça va bien ?", comme si tu avais juste besoin qu'on te force à voir le bon côté des choses.
Celleux qui, quand tu leur as écrit que ça n'allait pas, n'ont plus répondu.
Celleux qui, après un silence embarrassant, changent de sujet.
Celleux que tu énerves.
Celleux qui pensent que c'est un peu de ta faute.
Celleux qui n'ont rien vu.
Celleux qui disent "par ce temps, comment ça pourrait ne pas aller ?"
Celleux qui demandent comment ça se passe exactement, comme s'ils étaient en train de chercher dans quelle case du diagnostic te fourrer.
Celleux qui n'ont pas l'air de te croire.
Celleux qui veulent te sortir de force.
Celleux qui te bousculent.
Celleux qui te secouent.
De toutes celles et ceux-ci, par temps de nuit, se tenir loin.
Et rechercher celleux qui écoutent, ne jugent pas, se soucient.
Celleux qui t'envoient des messages qui disent "comment ça va bien ?", comme si tu avais juste besoin qu'on te force à voir le bon côté des choses.
Celleux qui, quand tu leur as écrit que ça n'allait pas, n'ont plus répondu.
Celleux qui, après un silence embarrassant, changent de sujet.
Celleux que tu énerves.
Celleux qui pensent que c'est un peu de ta faute.
Celleux qui n'ont rien vu.
Celleux qui disent "par ce temps, comment ça pourrait ne pas aller ?"
Celleux qui demandent comment ça se passe exactement, comme s'ils étaient en train de chercher dans quelle case du diagnostic te fourrer.
Celleux qui n'ont pas l'air de te croire.
Celleux qui veulent te sortir de force.
Celleux qui te bousculent.
Celleux qui te secouent.
De toutes celles et ceux-ci, par temps de nuit, se tenir loin.
Et rechercher celleux qui écoutent, ne jugent pas, se soucient.
mardi 19 mai 2015
Mes cheveux courts
Mes cheveux courts disent que je ne suis pas une petite chose fragile.
Mes cheveux courts disent que je n'ai pas besoin qu'un homme me protège, ni qu'on prenne soin de moi à ma place.
Mes cheveux courts disent sois de mon côté, moi, je serai du tien.
Mes cheveux courts disent que ce matin, j'ai passé une demi-heure à faire du yoga plutôt qu'à lisser mes longueurs.
Mes cheveux courts disent eh mec regarde, j'ai la même coupe que toi - mais elle me va mieux.
Mes cheveux courts c'est fou ce qu'ils sont bavards depuis que je les ai coupés, à croire que toute cette masse ça leur pesait sur la langue.
Mes cheveux courts disent t'as vu comme je suis belle avec mes cheveux courts, c'est parce que mon visage, mon allure, mon être.
Mes cheveux courts disent : je vais te manger.
Mes cheveux courts disent que je suis invulnérable (parfois ils disent beaucoup de conneries).
Mes cheveux courts disent : je sais me couper les cheveux moi-même, et la beauté de la chose, c'est que je vais continuer, et je vais devenir encore meilleure à ça.
Mes cheveux courts disent eh copine viens, on va faire le tour d'Europe à pieds à vélo à rollers, je sais pas en faire mais c'est pas grave j'apprendrai, c'est ce que disent mes cheveux courts.
Mes cheveux courts disent t'aurais jamais cru me kiffer autant avec les cheveux courts.
ça, c'est à moi qu'ils le disent, surtout, en fait.
Mes cheveux courts disent que je n'ai pas besoin qu'un homme me protège, ni qu'on prenne soin de moi à ma place.
Mes cheveux courts disent sois de mon côté, moi, je serai du tien.
Mes cheveux courts disent que ce matin, j'ai passé une demi-heure à faire du yoga plutôt qu'à lisser mes longueurs.
Mes cheveux courts disent eh mec regarde, j'ai la même coupe que toi - mais elle me va mieux.
Mes cheveux courts c'est fou ce qu'ils sont bavards depuis que je les ai coupés, à croire que toute cette masse ça leur pesait sur la langue.
Mes cheveux courts disent t'as vu comme je suis belle avec mes cheveux courts, c'est parce que mon visage, mon allure, mon être.
Mes cheveux courts disent : je vais te manger.
Mes cheveux courts disent que je suis invulnérable (parfois ils disent beaucoup de conneries).
Mes cheveux courts disent : je sais me couper les cheveux moi-même, et la beauté de la chose, c'est que je vais continuer, et je vais devenir encore meilleure à ça.
Mes cheveux courts disent eh copine viens, on va faire le tour d'Europe à pieds à vélo à rollers, je sais pas en faire mais c'est pas grave j'apprendrai, c'est ce que disent mes cheveux courts.
Mes cheveux courts disent t'aurais jamais cru me kiffer autant avec les cheveux courts.
ça, c'est à moi qu'ils le disent, surtout, en fait.
Plonger
Au bord du lac, il y a une piscine, dans cette piscine, il y a un plongeoir.
Un grand. Plus grand que celui que je fréquentais gamine avec de délicieux frissons dans le ventre, qui culminait à cinq mètres, et c'était déjà beaucoup. Non, celui-ci, il monte à dix.
ça me fait envie.
Je suppose qu'il y a la profondeur qu'il faut en-dessous. Enfin j'espère.
ça me fait envie, parce que j'imagine que si j'arrivais à sauter du dix mètres, ça exorciserait ces flashs envahissants qui me réveillent en sursaut ou viennent me terroriser par surprise au milieu du jour, où je vois les êtres que j'aime tomber accidentellement de mortelles hauteurs.
J'espère que si j'arrive à sauter du dix mètres ça satisfera quelque chose en moi, qui arrêtera de réclamer que je me précipite dans le vide et de faire hurler l'angoisse dès que je m'approche d'un rebord. J'ai pas envie de mourir, en ce moment. Pas du tout. Mais trois minutes sur un balcon et il faut que je m'éloigne, envahie d'images où j'escalade la rambarde.
Ou alors peut-être que c'est le contraire. Peut-être que si j'arrivais à sauter du dix mètre, ça banaliserait la chute. Peut-être que ça me décomplexerait tellement que je serais tentée de reproduire le truc à une hauteur qui ne surplomberait que du béton. Je me soupçonne parfois d'être d'une stupidité confondante.
Bref, le grand plongeoir. J'hésite encore.
Un grand. Plus grand que celui que je fréquentais gamine avec de délicieux frissons dans le ventre, qui culminait à cinq mètres, et c'était déjà beaucoup. Non, celui-ci, il monte à dix.
ça me fait envie.
Je suppose qu'il y a la profondeur qu'il faut en-dessous. Enfin j'espère.
ça me fait envie, parce que j'imagine que si j'arrivais à sauter du dix mètres, ça exorciserait ces flashs envahissants qui me réveillent en sursaut ou viennent me terroriser par surprise au milieu du jour, où je vois les êtres que j'aime tomber accidentellement de mortelles hauteurs.
J'espère que si j'arrive à sauter du dix mètres ça satisfera quelque chose en moi, qui arrêtera de réclamer que je me précipite dans le vide et de faire hurler l'angoisse dès que je m'approche d'un rebord. J'ai pas envie de mourir, en ce moment. Pas du tout. Mais trois minutes sur un balcon et il faut que je m'éloigne, envahie d'images où j'escalade la rambarde.
Ou alors peut-être que c'est le contraire. Peut-être que si j'arrivais à sauter du dix mètre, ça banaliserait la chute. Peut-être que ça me décomplexerait tellement que je serais tentée de reproduire le truc à une hauteur qui ne surplomberait que du béton. Je me soupçonne parfois d'être d'une stupidité confondante.
Bref, le grand plongeoir. J'hésite encore.
jeudi 14 mai 2015
Gnossienne
Dans la nuit qui voile les formes et développe les odeurs j'ai reconnu le parfum de ses fleurs avant de les distinguer : un paulownia ; et si je connais l'odeur et le nom du paulownia, c'est qu'il y a des années sur une place ma grand-mère avait dit en passant que c'était l'arbre préféré de sa mère à elle, ma bisaïeule, et décrit comme enfant avec ses amis ils ramassaient les fleurs tombées et les enfilaient sur leurs doigts comme des doigts de gants.
Autant que les parfums, je n'oublie pas ces détails-là.
Dans l'odeur douce et funèbre du paulownia, dans la nuit, je porte la mémoire d'une morte qui porte la mémoire d'une autre morte. Lorsqu'à mon tour je m'éteindrai, ces mémoires enchâssées disparaîtront avec moi. Ce n'est pas grave. Ce sont odeurs de fleurs. Mais tant que je respire, tant que je vis, je tiens en moi caché et vivant ce qui patiente dans le parfum des paulownias.
Autant que les parfums, je n'oublie pas ces détails-là.
Dans l'odeur douce et funèbre du paulownia, dans la nuit, je porte la mémoire d'une morte qui porte la mémoire d'une autre morte. Lorsqu'à mon tour je m'éteindrai, ces mémoires enchâssées disparaîtront avec moi. Ce n'est pas grave. Ce sont odeurs de fleurs. Mais tant que je respire, tant que je vis, je tiens en moi caché et vivant ce qui patiente dans le parfum des paulownias.
lundi 27 avril 2015
mercredi 15 avril 2015
Jane Eyre
Ecorné, froissé, usé aux arrêtes. Un vieux poche Penguin qui a beaucoup vécu. Pourtant c'est un des livres les plus précieux de ma bibliothèque.
Sur la seconde de couverture, une dédicace qui a vingt ans presque jour pour jour, comme mon amitié avec cette Anglaise qui me l'a offert le jour de notre rencontre et qui a été si importante dans ma vie. Tout aurait été différent sans doute. Adolescentes, elle était si jolie et moi tellement laide, et pourtant c'est son regard bienveillant qui m'a pour la première fois fait comprendre que je n'étais pas un monstre.
A l'autre bout, sur la troisième de couverture, un nom, une adresse, un téléphone, de la main de celui dont c'était. Je suis tombée amoureuse de lui en lisant enfin ce livre offert quatre ans auparavant. Je ne suis pas sûre qu'il m'aurait tant attirée sans la fascination du roman ; mais il faisait un assez bon Rochester avec son visage singulier et sombre, sa taille moyenne, sa poitrine large et ses manières un peu hautaines. Quant on a finalement été tous les deux dans ma chambre d'étudiante il m'a saisie sans tendresse, sans me laisser le temps d'avoir envie, et a montré de l'humeur quand plus tard j'ai dû lui demander d'arrêter parce que j'avais trop mal. C'est le premier qui m'a fait sentir que l'homme qui te plaît ne te veut pas forcément du bien.
Entre les deux, Jane Eyre. La lecture de ce roman donne tant de force. Jane est si forte tête, si puissante d'esprit et de caractère. Par temps d'orage, le style ample et décidé de Brontë apporte tant de consolation. Tant de chaleur.
Elle est le pharmakon. Selon comment tu le prends, le remède ou le poison.
Sur la seconde de couverture, une dédicace qui a vingt ans presque jour pour jour, comme mon amitié avec cette Anglaise qui me l'a offert le jour de notre rencontre et qui a été si importante dans ma vie. Tout aurait été différent sans doute. Adolescentes, elle était si jolie et moi tellement laide, et pourtant c'est son regard bienveillant qui m'a pour la première fois fait comprendre que je n'étais pas un monstre.
A l'autre bout, sur la troisième de couverture, un nom, une adresse, un téléphone, de la main de celui dont c'était. Je suis tombée amoureuse de lui en lisant enfin ce livre offert quatre ans auparavant. Je ne suis pas sûre qu'il m'aurait tant attirée sans la fascination du roman ; mais il faisait un assez bon Rochester avec son visage singulier et sombre, sa taille moyenne, sa poitrine large et ses manières un peu hautaines. Quant on a finalement été tous les deux dans ma chambre d'étudiante il m'a saisie sans tendresse, sans me laisser le temps d'avoir envie, et a montré de l'humeur quand plus tard j'ai dû lui demander d'arrêter parce que j'avais trop mal. C'est le premier qui m'a fait sentir que l'homme qui te plaît ne te veut pas forcément du bien.
Entre les deux, Jane Eyre. La lecture de ce roman donne tant de force. Jane est si forte tête, si puissante d'esprit et de caractère. Par temps d'orage, le style ample et décidé de Brontë apporte tant de consolation. Tant de chaleur.
Elle est le pharmakon. Selon comment tu le prends, le remède ou le poison.
lundi 13 avril 2015
Contre les sapiosexuels
J'aime l'intelligence. Une conversation intellectuellement stimulante, ça m'excite, et ça m'attache. Mais ce terme nouvellement apparu de sapiosexuel que vous brandissez comme une pancarte ONLR, ça me glace.
Parce qu'aimer l'intelligence c'est bien, mais n'aimer que l'intelligence, c'est borné.
Surtout quand par "intelligence" on veut dire "longues études". Et surtout quand par "longues études" on veut dire "milieu aisé, classe sociale élevée", comme c'est particulièrement le cas outre-atlantique, d'où vient ce terme.
Et voilà, sous un apparent discours anti-discriminations fondées sur le physique, on trouve une bien belle discrimination anti-pauvres.
Et par-dessus tout cela, qui se vante d'être sapiosexuel ne veut parler qu'aux gens qui se savent et se disent intelligents. Voilà, vous saisissez la faille. Les timides, les modestes, les complexés, les trésors cachés, que pouic.
Si vous aussi la consanguinité autosatisfaite des CSP+ vous rend malades, laissez-les donc consanguiner en paix et regardez plutôt Carnage, de Roman Polanski et d'après Yasmina Reza, qui s'occupe très bien de leur cas. C'est extrêmement satisfaisant. Intellectuellement parlant, s'entend.
Parce qu'aimer l'intelligence c'est bien, mais n'aimer que l'intelligence, c'est borné.
Surtout quand par "intelligence" on veut dire "longues études". Et surtout quand par "longues études" on veut dire "milieu aisé, classe sociale élevée", comme c'est particulièrement le cas outre-atlantique, d'où vient ce terme.
Et voilà, sous un apparent discours anti-discriminations fondées sur le physique, on trouve une bien belle discrimination anti-pauvres.
Et par-dessus tout cela, qui se vante d'être sapiosexuel ne veut parler qu'aux gens qui se savent et se disent intelligents. Voilà, vous saisissez la faille. Les timides, les modestes, les complexés, les trésors cachés, que pouic.
Si vous aussi la consanguinité autosatisfaite des CSP+ vous rend malades, laissez-les donc consanguiner en paix et regardez plutôt Carnage, de Roman Polanski et d'après Yasmina Reza, qui s'occupe très bien de leur cas. C'est extrêmement satisfaisant. Intellectuellement parlant, s'entend.
jeudi 9 avril 2015
L'amour du vide
Assise à mon balcon, profitant du soleil et de la vue, et c'est magnifique. Par très beau temps, on voit le Mont-Blanc. Il n'y avait pas encore eu de si beau temps. Et c'est pas juste "Oh, tiens, le Mont-Blanc." C'est très impressionnant, si proche, une méchante chaîne de crocs aiguisés à l'assaut du ciel bleu, encore couverts de neige, fantomatiques et acérés sous le soleil.
Assise à mon balcon et pas tout à fait tranquille. Je ne peux pas m'empêcher de remarquer que mon corps n'est pas posé détendu sur la chaise, mais blotti crispé contre le mur, le plus loin possible de la rambarde en fer et du vide de quinze mètres au-delà. Et que ma peur n'est pas tant de tomber que de me jeter irrépressiblement dans le vide. De même mon écriture sur la page se tasse du côté opposé à la chute.
Assise à mon balcon, profitant du soleil, interrogeant du bout de la pensée mon inquiétude quant à la solidité de ce balcon dont je n'ai aucune raison de douter, et qui pourtant revient avec constance. Mais le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut pour marcher à son ordinaire, s’il y a au dessous un précipice, quoi que sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra.
Assise à mon balcon et je me demande, si celui-ci se décrochait,si je serais capable d'éprouver cette expérience comme les montagnes russes des fêtes foraines. J'adore les montagnes russes. La certitude de la sécurité permet de se plonger sans scrupules dans cette sensation folle, enivrante de tomber, tous les nœuds intérieurs se dénouant en jubilation. Mais la certitude de la sécurité n'est-elle pas, dans ses effets, équivalente à la certitude de l'impuissance ? Si je sentais soudain le balcon s'effondrer sous moi, chute inévitable et mortelle avec certitude, le mieux ne serait-il pas d'être capable en un instant de me ressaisir, et de développer assez de détachement pour jouir pleinement de l'expérience ?
Assise à mon balcon et pas tout à fait tranquille. Je ne peux pas m'empêcher de remarquer que mon corps n'est pas posé détendu sur la chaise, mais blotti crispé contre le mur, le plus loin possible de la rambarde en fer et du vide de quinze mètres au-delà. Et que ma peur n'est pas tant de tomber que de me jeter irrépressiblement dans le vide. De même mon écriture sur la page se tasse du côté opposé à la chute.
Assise à mon balcon, profitant du soleil, interrogeant du bout de la pensée mon inquiétude quant à la solidité de ce balcon dont je n'ai aucune raison de douter, et qui pourtant revient avec constance. Mais le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut pour marcher à son ordinaire, s’il y a au dessous un précipice, quoi que sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra.
Assise à mon balcon et je me demande, si celui-ci se décrochait,si je serais capable d'éprouver cette expérience comme les montagnes russes des fêtes foraines. J'adore les montagnes russes. La certitude de la sécurité permet de se plonger sans scrupules dans cette sensation folle, enivrante de tomber, tous les nœuds intérieurs se dénouant en jubilation. Mais la certitude de la sécurité n'est-elle pas, dans ses effets, équivalente à la certitude de l'impuissance ? Si je sentais soudain le balcon s'effondrer sous moi, chute inévitable et mortelle avec certitude, le mieux ne serait-il pas d'être capable en un instant de me ressaisir, et de développer assez de détachement pour jouir pleinement de l'expérience ?
mardi 7 avril 2015
dimanche 5 avril 2015
A trois on se casse
Chérie, c'était bon, c'était doux, c'était tendre ce qu'on a fait, c'était chaud aussi, mais je t'avoue, "ton mec", il m'a gonflée.
Parce que j'ai pas aimé qu'il te déshabille d'autorité quand on a commencé à se rouler des pelles toutes les deux. J'aurais voulu qu'on prenne notre temps, qu'on profite du moment, j'aurais aimé t'enlever une à une toutes tes couches de vêtement, tu es si frileuse, c'est si mignon, j'aurais aimé te déshabiller lentement en prenant soin de toi, en respectant ta timidité. Et puis ça aurait été drôlement sexy de découvrir petit bout par petit bout toutes les merveilles que cachaient si bien tes vêtements.
J'ai pas aimé qu'il active les choses comme si tout ça c'était à propos de lui alors que vraiment c'était à propos de nous.
J'ai pas aimé qu'il te dise de faire des trucs, limite il te donnait des ordres, je suis pas contre un peu de dirty talk mais c'était pas respectueux.
J'ai pas aimé qu'il ramène sa queue dans le débat. Sérieusement. J'ai fait comme s'il était pas là parce que moi j'étais là pour toi, mais toi tu pouvais pas l'ignorer, vu que c'est "ton mec", et que visiblement dans votre couple l'homme propose et l'homme dispose aussi.
Oui je sais tu es timide. Oui je sais tu es évitante. Et tu es complexée. Et tu ne prends pas l'initiative. Et je ne suis pas certaine que tu soies bien au clair ni à l'aise avec tes propres désirs.
Mais justement, raison de plus pour les écouter.
Je ne suis pas sûre que tu n'aies pas, par facilité ou par crainte, pris l'habitude d'être "prise" sans avoir ton mot à dire et de considérer que c'était normal, que c'était mieux comme ça, que les hommes savent mieux que toi ce qui est bon pour toi.
Je veux être cette amante qui ne te contraint à rien, qui te demande si tu es d'accord, qui te donne du temps, qui respecte tes doutes et tes hésitations, qui guette sur ton visage et dans tes gestes les signes des émotions qui te traversent, qui préfère ne rien faire plutôt que contre ton gré, qui veut jouir avec toi et non de toi. Celle qui t'attire, et non celle qui te pousse.
"Ton mec" dirait peut-être, ou peut-être même il ne le pense pas consciemment mais se contente de fonctionner comme ça sans le savoir et je sais pas si c'est pas pire, que si on te force pas un peu la main tu feras rien, que pourvu qu'à la fin tu sois contente c'est pas grave si au début t'as pas vraiment eu le choix.
Je suis complètement en désaccord avec ça. Je pense le contraire. Je pense que si tu es à l'aise et en confiance, si tu te sens respectée et écoutée, tu apprendras à écouter tes propres désirs, tu les sentiras t'inspirer des actes audacieux ; si on arrête de t'envahir avec des désirs aliénés tu auras enfin l'occasion de faire connaissance avec les tiens ; tu éprouveras comme c'est merveilleux d'avoir envie de dévorer quelqu'un, tu deviendras cent, mille fois plus désirante si on laisse le temps à ton désir de naître au lieu de te l'imposer du dehors.
Et c'est pas par intérêt tordu que je dis ça, pour avoir une meilleure amante. Parce que si ton désir c'est juste de la tendresse, ou alors qu'on te foute la paix, c'est important de l'écouter aussi.
Parce que j'ai pas aimé qu'il te déshabille d'autorité quand on a commencé à se rouler des pelles toutes les deux. J'aurais voulu qu'on prenne notre temps, qu'on profite du moment, j'aurais aimé t'enlever une à une toutes tes couches de vêtement, tu es si frileuse, c'est si mignon, j'aurais aimé te déshabiller lentement en prenant soin de toi, en respectant ta timidité. Et puis ça aurait été drôlement sexy de découvrir petit bout par petit bout toutes les merveilles que cachaient si bien tes vêtements.
J'ai pas aimé qu'il active les choses comme si tout ça c'était à propos de lui alors que vraiment c'était à propos de nous.
J'ai pas aimé qu'il te dise de faire des trucs, limite il te donnait des ordres, je suis pas contre un peu de dirty talk mais c'était pas respectueux.
J'ai pas aimé qu'il ramène sa queue dans le débat. Sérieusement. J'ai fait comme s'il était pas là parce que moi j'étais là pour toi, mais toi tu pouvais pas l'ignorer, vu que c'est "ton mec", et que visiblement dans votre couple l'homme propose et l'homme dispose aussi.
Oui je sais tu es timide. Oui je sais tu es évitante. Et tu es complexée. Et tu ne prends pas l'initiative. Et je ne suis pas certaine que tu soies bien au clair ni à l'aise avec tes propres désirs.
Mais justement, raison de plus pour les écouter.
Je ne suis pas sûre que tu n'aies pas, par facilité ou par crainte, pris l'habitude d'être "prise" sans avoir ton mot à dire et de considérer que c'était normal, que c'était mieux comme ça, que les hommes savent mieux que toi ce qui est bon pour toi.
Je veux être cette amante qui ne te contraint à rien, qui te demande si tu es d'accord, qui te donne du temps, qui respecte tes doutes et tes hésitations, qui guette sur ton visage et dans tes gestes les signes des émotions qui te traversent, qui préfère ne rien faire plutôt que contre ton gré, qui veut jouir avec toi et non de toi. Celle qui t'attire, et non celle qui te pousse.
"Ton mec" dirait peut-être, ou peut-être même il ne le pense pas consciemment mais se contente de fonctionner comme ça sans le savoir et je sais pas si c'est pas pire, que si on te force pas un peu la main tu feras rien, que pourvu qu'à la fin tu sois contente c'est pas grave si au début t'as pas vraiment eu le choix.
Je suis complètement en désaccord avec ça. Je pense le contraire. Je pense que si tu es à l'aise et en confiance, si tu te sens respectée et écoutée, tu apprendras à écouter tes propres désirs, tu les sentiras t'inspirer des actes audacieux ; si on arrête de t'envahir avec des désirs aliénés tu auras enfin l'occasion de faire connaissance avec les tiens ; tu éprouveras comme c'est merveilleux d'avoir envie de dévorer quelqu'un, tu deviendras cent, mille fois plus désirante si on laisse le temps à ton désir de naître au lieu de te l'imposer du dehors.
Et c'est pas par intérêt tordu que je dis ça, pour avoir une meilleure amante. Parce que si ton désir c'est juste de la tendresse, ou alors qu'on te foute la paix, c'est important de l'écouter aussi.
mercredi 1 avril 2015
La voie sensuelle
Tu me demandes comment la recherche du plaisir sensuel pourrait être une voie spirituelle alors que tu la considères aliénation, obstacle, attachement aux sens.
Je te répondrai que le but n'est pas tant la jouissance que la rencontre de l'autre ; et que l'autre n'est pas, lui non plus, le but, car ce serait faire de lui un objet, une chose ; l'autre est à rencontrer pour faire ensemble, et ce que nous faisons ensemble est un chemin.
Je te répondrai : ni avidité, ni aversion, ni indifférence.
La caresse est chemin de méditation, plongée en soi et ouverture à la présence, discipline du geste et célébration de l'instant. Nul plaisir grossier dans cet effleurement de nos peaux où naît la joie parfaite.
Cosmique est ce premier moment où nos énergies se nouent l'une à l'autre. Traversés de courants immenses nous éprouvons le sacré. Sous tes doigts ma perception se démultiplie et je sombre en moi-même, toute à la sensation, et ainsi me livrant je m'oublie. J'éprouve ma perte et m'en défais en me donnant à tes mains ; détachée, sereine et souveraine je contemple d'un calme océanique l'ouragan auquel tu me livres. Et te recevant aussi, nos sens indivis, je te guide, intense, à travers les spasmes et la houle, vers l'abandon de toi. Ensemble nous vibrons, ensemble nous éprouvons notre disparition dans le sacré.
Parce qu'il y a la même différence entre la luxure et l'amour qu'ensemble nous cultivons qu'entre la pesanteur de l'estomac trop plein et qui cherche à se remplir encore et la création de la lumière.
Je te répondrai que le but n'est pas tant la jouissance que la rencontre de l'autre ; et que l'autre n'est pas, lui non plus, le but, car ce serait faire de lui un objet, une chose ; l'autre est à rencontrer pour faire ensemble, et ce que nous faisons ensemble est un chemin.
Je te répondrai : ni avidité, ni aversion, ni indifférence.
La caresse est chemin de méditation, plongée en soi et ouverture à la présence, discipline du geste et célébration de l'instant. Nul plaisir grossier dans cet effleurement de nos peaux où naît la joie parfaite.
Cosmique est ce premier moment où nos énergies se nouent l'une à l'autre. Traversés de courants immenses nous éprouvons le sacré. Sous tes doigts ma perception se démultiplie et je sombre en moi-même, toute à la sensation, et ainsi me livrant je m'oublie. J'éprouve ma perte et m'en défais en me donnant à tes mains ; détachée, sereine et souveraine je contemple d'un calme océanique l'ouragan auquel tu me livres. Et te recevant aussi, nos sens indivis, je te guide, intense, à travers les spasmes et la houle, vers l'abandon de toi. Ensemble nous vibrons, ensemble nous éprouvons notre disparition dans le sacré.
Parce qu'il y a la même différence entre la luxure et l'amour qu'ensemble nous cultivons qu'entre la pesanteur de l'estomac trop plein et qui cherche à se remplir encore et la création de la lumière.
mardi 31 mars 2015
Un baiser
J'ai envie de t'embrasser.
Comme ça, oui.
C'est sans conditions générales de vente en petits caractères. ça veut dire que je vais pas te demander en mariage. Ni d'avoir une relation exclusive longue distance avec moi. De toutes façons la relation exclusive je fais pas, tu sais.
ça veut dire aussi que tu refuses si tu veux, et je respecterai ça, et je ne t'en aimerai pas moins.
Mais non, je suis pas en train de dire que je t'aime. Enfin pas comme ça en tous cas. Non, pas non plus "en tant qu'ami". Pas ce qu'on entend généralement par là du moins. C'est plus compliqué que ça, en tous cas chez moi. Ou peut-être beaucoup plus simple. Mon amour ne rentre pas dans des cases à cocher. Mon amour est vaste et généreux. Mon amour est comme la lumière, un continuum, et un truc qui se dégrade, se diffuse, s'adapte, se réfracte, se réfléchit.
J'ai envie de t'embrasser, mais ça veut pas dire qu'il doit y avoir du sexe non plus. Ni aujourd'hui, ni plus tard. C'est comme on veut, seulement si ça te fait envie, seulement si tu es confortable avec ça, et moi aussi. Rapprocher nos corps, ce n'est pas un chèque en blanc pour la chambre à coucher. Pareil pour les caresses, le principe est le même que pour les chats : celles qu'on veut, si on veut. C'est seulement pour le plaisir, tu sais, alors. On peut complètement rester habillée et concentrer toute notre vie dans nos lèvres.
J'ai envie de t'embrasser mais ça ne veut pas dire qu'on devra le faire chaque fois à l'avenir. ça peut être juste une fois si tu veux. Même si ça nous plaît, même si c'est très bon.
J'ai envie de t'embrasser et si toi non, tu me délivres et je te remercierai. Je pourrai arrêter de m'exciter sur des peut-être, et profiter de ta présence de manière plus tranquille. Je ne dirais pas que je préfère, c'est différent, c'est tout. On en parle si tu veux, moi ça ne me dérange pas. Tu n'as pas à fournir de raisons. Je ne vais pas te harceler. ça ne change rien pour moi. Tu seras toujours cet ami qui me plaît, mais tu n'as pas à craindre ma lourde concupiscence. Je saurai, je sais déjà te regarder en paix. Je t'apprécie autant, que l'on se touche ou non. Parce que je te considère comme une personne, et que pour moi, le respect de ce que tu es et de ce que tu choisis, cela passe avant tout. Ne crains pas, non, ne crains pas que je te fasse sentir mon dépit, ou que je t'en veuille.
Un baiser, rien qu'un baiser pour commencer, c'est ce que je t'offre, maintenant, mes lèvres contre les tiennes et cette douce vibration qui nous parcourt lentement, ça faisait si longtemps que j'en avais envie et toi aussi je le sais, un baiser, rien qu'un baiser, sans contrepartie.
Comme ça, oui.
C'est sans conditions générales de vente en petits caractères. ça veut dire que je vais pas te demander en mariage. Ni d'avoir une relation exclusive longue distance avec moi. De toutes façons la relation exclusive je fais pas, tu sais.
ça veut dire aussi que tu refuses si tu veux, et je respecterai ça, et je ne t'en aimerai pas moins.
Mais non, je suis pas en train de dire que je t'aime. Enfin pas comme ça en tous cas. Non, pas non plus "en tant qu'ami". Pas ce qu'on entend généralement par là du moins. C'est plus compliqué que ça, en tous cas chez moi. Ou peut-être beaucoup plus simple. Mon amour ne rentre pas dans des cases à cocher. Mon amour est vaste et généreux. Mon amour est comme la lumière, un continuum, et un truc qui se dégrade, se diffuse, s'adapte, se réfracte, se réfléchit.
J'ai envie de t'embrasser, mais ça veut pas dire qu'il doit y avoir du sexe non plus. Ni aujourd'hui, ni plus tard. C'est comme on veut, seulement si ça te fait envie, seulement si tu es confortable avec ça, et moi aussi. Rapprocher nos corps, ce n'est pas un chèque en blanc pour la chambre à coucher. Pareil pour les caresses, le principe est le même que pour les chats : celles qu'on veut, si on veut. C'est seulement pour le plaisir, tu sais, alors. On peut complètement rester habillée et concentrer toute notre vie dans nos lèvres.
J'ai envie de t'embrasser mais ça ne veut pas dire qu'on devra le faire chaque fois à l'avenir. ça peut être juste une fois si tu veux. Même si ça nous plaît, même si c'est très bon.
J'ai envie de t'embrasser et si toi non, tu me délivres et je te remercierai. Je pourrai arrêter de m'exciter sur des peut-être, et profiter de ta présence de manière plus tranquille. Je ne dirais pas que je préfère, c'est différent, c'est tout. On en parle si tu veux, moi ça ne me dérange pas. Tu n'as pas à fournir de raisons. Je ne vais pas te harceler. ça ne change rien pour moi. Tu seras toujours cet ami qui me plaît, mais tu n'as pas à craindre ma lourde concupiscence. Je saurai, je sais déjà te regarder en paix. Je t'apprécie autant, que l'on se touche ou non. Parce que je te considère comme une personne, et que pour moi, le respect de ce que tu es et de ce que tu choisis, cela passe avant tout. Ne crains pas, non, ne crains pas que je te fasse sentir mon dépit, ou que je t'en veuille.
Un baiser, rien qu'un baiser pour commencer, c'est ce que je t'offre, maintenant, mes lèvres contre les tiennes et cette douce vibration qui nous parcourt lentement, ça faisait si longtemps que j'en avais envie et toi aussi je le sais, un baiser, rien qu'un baiser, sans contrepartie.
vendredi 27 mars 2015
Le défilé des vaches
Je me souviens ce jour de juin il y a presque dix ans, je m'étais réveillée très tôt comme toujours à l'époque lors de mes séjours à Genève où l'excitation d'être là me donnait une énergie quasi surnaturelle, pour me heurter aux portes closes de la bibliothèque de mes pensées eh oui : j'étais bien la seule dingue à vouloir bosser un samedi - alors j'avais continué sur la lancée de ma dinguerie, parcouru toutes les rues, tous les endroits connus ou inconnus de la vieille ville, découvert des coins nouveaux ou d'autres qui apparaissaient tels dans la lumière rasante et crue, courant comme aux œufs de Pâques les vaches bariolées qui se posaient paisibles et magnifiques ce printemps-là partout dans la ville, enivrée, extatique dans Genève déserte et ensoleillée.
mardi 24 mars 2015
Sans vis-à-vis
J'étais depuis cinq bonnes minutes en train d'accomplir nue les divers rituels de ma toilette du soir quand je remarquai pour la première fois, en face de ma fenêtre, une fenêtre allumée et, se détachant sur celle-ci, une silhouette en ombre chinoise qui par-delà la cour regardait dans ma direction.
Frodon sous l'oeil du Mordor ne connut pas plus grand effroi. Un pas en arrière pour sortir de l'angle de vue, puis à tâtons chercher l'interrupteur pour ensuite, protégée par l'obscurité, examiner à loisir cette personne obscure qui continuait à scruter la fenêtre de ma salle de bain en finissant sa cigarette.
Et je me demandais quel plaisir, quelle curiosité il y avait à observer secrètement, dans l'éclairage cru d'une salle de bains, une inconnue au corps amolli par la fatigue de la journée faire ces gestes pas très gracieux que l'on fait le soir pour se préparer au coucher, se brosser les dents, se laver le visage, je me demandais si pour mon voyeur c'était comique, grotesque ou alors excitant, de me voir prendre des positions pas flatteuses ni érotiques, en tout cas pas étudiées, peut-être comme les baigneuses de Bonnard, des postures que l'on prend quand on se croit seule, une intimité particulière liée à cette crudité de la toilette, quelque chose de touchant dans la vulnérabilité des chairs malhabiles, le corps deux fois plus nu, puisqu'il ne s'étudie pas.
Frodon sous l'oeil du Mordor ne connut pas plus grand effroi. Un pas en arrière pour sortir de l'angle de vue, puis à tâtons chercher l'interrupteur pour ensuite, protégée par l'obscurité, examiner à loisir cette personne obscure qui continuait à scruter la fenêtre de ma salle de bain en finissant sa cigarette.
Et je me demandais quel plaisir, quelle curiosité il y avait à observer secrètement, dans l'éclairage cru d'une salle de bains, une inconnue au corps amolli par la fatigue de la journée faire ces gestes pas très gracieux que l'on fait le soir pour se préparer au coucher, se brosser les dents, se laver le visage, je me demandais si pour mon voyeur c'était comique, grotesque ou alors excitant, de me voir prendre des positions pas flatteuses ni érotiques, en tout cas pas étudiées, peut-être comme les baigneuses de Bonnard, des postures que l'on prend quand on se croit seule, une intimité particulière liée à cette crudité de la toilette, quelque chose de touchant dans la vulnérabilité des chairs malhabiles, le corps deux fois plus nu, puisqu'il ne s'étudie pas.
lundi 16 mars 2015
L'ego et le moi
Comme deux oiseaux d'or perchés sur un arbre, l'ego et le moi sont
compagnons inséparables.
L'un mange les fruits doux et amers de l'arbre, tandis que l'autre
observe sans se nourrir.
Si nous pensons que nous sommes l'ego, nous y sommes liés et sombrons
dans la peine.
Mais comprenez que vous êtes le moi, et vous serez libéré du fardeau.
Extrait du Bhagavad-Gita (VIe siècle av. JC)
compagnons inséparables.
L'un mange les fruits doux et amers de l'arbre, tandis que l'autre
observe sans se nourrir.
Si nous pensons que nous sommes l'ego, nous y sommes liés et sombrons
dans la peine.
Mais comprenez que vous êtes le moi, et vous serez libéré du fardeau.
Extrait du Bhagavad-Gita (VIe siècle av. JC)
dimanche 15 mars 2015
Je ne finirai pas en Sorbonne
Je n'irai pas enseigner à l'université parce que je ne serai pas élue. Et je ne serai pas élue parce que je ne candidaterai pas.
Tu dis que c'est dommage, que je devrais être plus ambitieuse, que je m'auto-limite, tu me pousses.
Mais je ne pense pas que la connaissance soit meilleure, plus pure, plus dense sur les bancs de la fac que dans les salles d'un lycée. Je pense le contraire.
Je sais bien que l'université, c'est plus prestigieux. Certains pensent cela. Je ne suis pas obligée de penser comme eux, ou de gouverner ma vie en fonction du prestige.
Oui enseigner à des lycéens c'est fatigant, c'est exigeant, c'est physique. Devine quoi : c'est ce qui en fait tout le fun. On ne s'use pas moins le visage aux écrans des ordinateurs, bagne contemporain du chercheur, qu'aux couloirs de l'éducation nationale ; on s'y fait seulement des rides plus tristes.
Alors certes c'est piquant d'avoir cette conversation houleuse avec un homme sûr de ses droits, dogmatique, intolérant, agressif. Repérer qu'il fait du langage un usage imprécis, que son argumentation, essentiellement malhonnête, est farcie de pétitions de principe. Apprendre ensuite qu'il a un très bon poste et fait partie du jury d'un concours prestigieux. Savoir d'expérience que ses semblables sont légion. En tirer les conséquences. ça ne fait que confirmer ce que je pensais déjà.
Mais lorsque tu me dis que m'abstenir de poser ma candidature, c'est laisser l'université aux mains des salauds, des héritiers et des patriarches, je te dis : non. Il n'y a pas une université éternelle, libre, pure, égalitaire, dont les places seraient malheureusement occupées par une classe dominante mâle et blanche détournant l'institution de ses buts et travaillant à la reproduction de sa domination : l'université a été créée par cette classe, elle est l'institution de cette classe, elle est homogène à sa structure, et je ne veux pas me mettre dans les chaussures du patriarcat.
Plutôt que d'essayer de prendre des places dans les structures d'oppression il nous faut inventer d'autres places ; d'autres institutions, d'autres lieux de pensée, d'autres notions de prestige.
Tu dis que c'est dommage, que je devrais être plus ambitieuse, que je m'auto-limite, tu me pousses.
Mais je ne pense pas que la connaissance soit meilleure, plus pure, plus dense sur les bancs de la fac que dans les salles d'un lycée. Je pense le contraire.
Je sais bien que l'université, c'est plus prestigieux. Certains pensent cela. Je ne suis pas obligée de penser comme eux, ou de gouverner ma vie en fonction du prestige.
Oui enseigner à des lycéens c'est fatigant, c'est exigeant, c'est physique. Devine quoi : c'est ce qui en fait tout le fun. On ne s'use pas moins le visage aux écrans des ordinateurs, bagne contemporain du chercheur, qu'aux couloirs de l'éducation nationale ; on s'y fait seulement des rides plus tristes.
Alors certes c'est piquant d'avoir cette conversation houleuse avec un homme sûr de ses droits, dogmatique, intolérant, agressif. Repérer qu'il fait du langage un usage imprécis, que son argumentation, essentiellement malhonnête, est farcie de pétitions de principe. Apprendre ensuite qu'il a un très bon poste et fait partie du jury d'un concours prestigieux. Savoir d'expérience que ses semblables sont légion. En tirer les conséquences. ça ne fait que confirmer ce que je pensais déjà.
Mais lorsque tu me dis que m'abstenir de poser ma candidature, c'est laisser l'université aux mains des salauds, des héritiers et des patriarches, je te dis : non. Il n'y a pas une université éternelle, libre, pure, égalitaire, dont les places seraient malheureusement occupées par une classe dominante mâle et blanche détournant l'institution de ses buts et travaillant à la reproduction de sa domination : l'université a été créée par cette classe, elle est l'institution de cette classe, elle est homogène à sa structure, et je ne veux pas me mettre dans les chaussures du patriarcat.
Plutôt que d'essayer de prendre des places dans les structures d'oppression il nous faut inventer d'autres places ; d'autres institutions, d'autres lieux de pensée, d'autres notions de prestige.
Alcools
L'autre jour quelqu'un demandait à partir de quel âge les adolescents buvaient du vin à table en famille en France et j'ai eu du mal à répondre, parce que je n'ai pas de souvenir d'une époque où je n'en buvais pas, et comme je n'ai presque aucun souvenir avant neuf ans, disons qu'à cet âge-là déjà on me faisait boire du vin sous prétexte de culture oenologique, mon père clamant à qui voulait l'entendre que les jeunes qui devenaient alcooliques étaient ceux à qui l'on avait pas appris à déguster le vin. Ce n'est que bien plus tard, vers 25 ans, en faisant quelques calculs simples de volumes des liquides et de destruction de son entourage, que j'ai fini par comprendre que mon père était alcoolique.
Vers quinze ans je me souviens de ces interminables repas de famille le dimanche chez ma mère cette fois où les bouteilles n'étaient pas spécialement comptées, où le vin aidait à faire passer la nourriture trop riche et l'amertume des relations, où à la fin des repas, souvent, en me levant pour rapporter une pile d'assiette sales je sentais les effets de l'alcool entre mon équilibre et le monde autour de moi et j'en étais contente.
Dans les fêtes je tenais bien les alcools forts, je n'avais pas encore appris que la bière c'est plus compliqué.
L'été de mes vingt ans je buvais dès que j'en avais l'occasion, prétendant fêter mes succès, essayant de noyer cette affreuse déception qui parfois me point encore de l'intérieur, et j'étais outré de ce serveur qui demandait ma carte d'identité pour m'apporter un cocktail à quatre heures de l'après-midi alors que quatre ans auparavant on me croyait majeure les yeux fermés.
Puis je me suis calmée. Suis devenue une consommatrice standard. De temps en temps une étude affirmant les bienfaits d'un verre de vin par jour contre la maladie d'Alzheimer alors on fait un effort pour intégrer le vin dans la liste des courses et l'ordinaire des repas. De temps en temps la fête, dis donc, une bonne descente.
J'aimais cette douce euphorie que procure l'abus d'alcool et il m'a fallu longtemps pour comprendre qu'elle n'était là que pour remplacer l'absence d'amis véritables, avec lesquels il n'est pas besoin de boire pour se sentir gai et libre.
J'ai jamais été malade à cause de l'alcool. Jamais vomi. Jamais eu la gueule de bois. Jamais bu au point d'en perdre la mémoire. Jamais conduit bourrée.
Après vingt-cinq ans j'ai commencé à remarquer que lorsque je buvais quelques verres de vin, le lendemain j'étais lente. J'ai fait la connexion. Cela s'est peu à peu accentué. Cette lenteur est devenue envie de suicide. Je ne sais pas à quoi c'est dû. Peut-être la sérotonine. Peut-être un défaut de métabolisme. Peut-être suis-je si persuadée d'avoir une pente à l'alcool que j'ai installé ma propre barrière.
Aujourd'hui journée difficile, je cherchais la raison et puis tout d'un coup ça me revient, à ce déjeuner professionnel hier, j'ai accepté un verre de vin, et plus tard le serveur m'a servie à nouveau sans que j'aie le temps de l'en empêcher, du coup j'en ai bu un deuxième. Deux verres de vin, pour moi, c'est l'assurance d'idées noires le lendemain avec un pic d'idées suicidaires en début d'après-midi, et justement, voici le début de l'après-midi et l'angoisse qui monte. Ce n'est pas la solitude dans une ville inconnue, ce n'est pas la fatigue, ce n'est pas cette mauvaise nouvelle au travail, ce n'est pas le temps couvert, ce n'est pas ma névrose, ce n'est pas parce que je m'inquiète pour toi, ce n'est pas parce que tu es loin, et toi aussi, et toi ; c'est l'alcool qui verse cette noirceur dans mon sang, c'est l'alcool qui ralentit mes pensées, c'est l'alcool qui bouche mon horizon, c'est l'alcool, génie malfaisant, qui déforme mes émotions, c'est l'alcool, c'est certainement l'alcool, seulement l'alcool, c'est la faute à l'alcool, et si c'est l'alcool, c'est que ça ira mieux demain.
Vers quinze ans je me souviens de ces interminables repas de famille le dimanche chez ma mère cette fois où les bouteilles n'étaient pas spécialement comptées, où le vin aidait à faire passer la nourriture trop riche et l'amertume des relations, où à la fin des repas, souvent, en me levant pour rapporter une pile d'assiette sales je sentais les effets de l'alcool entre mon équilibre et le monde autour de moi et j'en étais contente.
Dans les fêtes je tenais bien les alcools forts, je n'avais pas encore appris que la bière c'est plus compliqué.
L'été de mes vingt ans je buvais dès que j'en avais l'occasion, prétendant fêter mes succès, essayant de noyer cette affreuse déception qui parfois me point encore de l'intérieur, et j'étais outré de ce serveur qui demandait ma carte d'identité pour m'apporter un cocktail à quatre heures de l'après-midi alors que quatre ans auparavant on me croyait majeure les yeux fermés.
Puis je me suis calmée. Suis devenue une consommatrice standard. De temps en temps une étude affirmant les bienfaits d'un verre de vin par jour contre la maladie d'Alzheimer alors on fait un effort pour intégrer le vin dans la liste des courses et l'ordinaire des repas. De temps en temps la fête, dis donc, une bonne descente.
J'aimais cette douce euphorie que procure l'abus d'alcool et il m'a fallu longtemps pour comprendre qu'elle n'était là que pour remplacer l'absence d'amis véritables, avec lesquels il n'est pas besoin de boire pour se sentir gai et libre.
J'ai jamais été malade à cause de l'alcool. Jamais vomi. Jamais eu la gueule de bois. Jamais bu au point d'en perdre la mémoire. Jamais conduit bourrée.
Après vingt-cinq ans j'ai commencé à remarquer que lorsque je buvais quelques verres de vin, le lendemain j'étais lente. J'ai fait la connexion. Cela s'est peu à peu accentué. Cette lenteur est devenue envie de suicide. Je ne sais pas à quoi c'est dû. Peut-être la sérotonine. Peut-être un défaut de métabolisme. Peut-être suis-je si persuadée d'avoir une pente à l'alcool que j'ai installé ma propre barrière.
Aujourd'hui journée difficile, je cherchais la raison et puis tout d'un coup ça me revient, à ce déjeuner professionnel hier, j'ai accepté un verre de vin, et plus tard le serveur m'a servie à nouveau sans que j'aie le temps de l'en empêcher, du coup j'en ai bu un deuxième. Deux verres de vin, pour moi, c'est l'assurance d'idées noires le lendemain avec un pic d'idées suicidaires en début d'après-midi, et justement, voici le début de l'après-midi et l'angoisse qui monte. Ce n'est pas la solitude dans une ville inconnue, ce n'est pas la fatigue, ce n'est pas cette mauvaise nouvelle au travail, ce n'est pas le temps couvert, ce n'est pas ma névrose, ce n'est pas parce que je m'inquiète pour toi, ce n'est pas parce que tu es loin, et toi aussi, et toi ; c'est l'alcool qui verse cette noirceur dans mon sang, c'est l'alcool qui ralentit mes pensées, c'est l'alcool qui bouche mon horizon, c'est l'alcool, génie malfaisant, qui déforme mes émotions, c'est l'alcool, c'est certainement l'alcool, seulement l'alcool, c'est la faute à l'alcool, et si c'est l'alcool, c'est que ça ira mieux demain.
vendredi 13 mars 2015
Evacuer
C'était un de ces rêves juste avant le réveil, où tu rêves si fort parce
que tu sens bien que tu es en train de remonter doucement vers la
surface.
ça se passait sur un paquebot. Quelqu'un de ma famille m'annonçait que
nous devions revoir mon oncle le lendemain matin. Ses cendres, sans
doute, ai-je pensé.
Alors je regardais la mer et j'ai senti un cri énorme monter en moi, me
déchirer la poitrine, animal primaire, une colossale lamentation, je
regardais la mer bleu glauque et je voyais mon cri glisser par vagues
sur les flots, vider une bonne fois pour toutes tout ce que j'avais à
crier, peur, colère, regrets, larmes, quel soulagement, je criais et
criais, rauque, grave, l'accomplissement de mon deuil final, c'était
tellement satisfaisant de laisser aller tout cela, comme si j'avais
enfin appris comment tout relâcher d'un coup, et sur le pont du navire
je me cachais de mes proches de peur qu'ils n'essayent de m'arrêter, je
me planquais pour pouvoir continuer à crier, je criais dans des recoins, je criais cachée, je criais pliée dans l'ombre, mais toujours, contorsionnée, les yeux fixés sur la mer qui soutenait mon cri.
que tu sens bien que tu es en train de remonter doucement vers la
surface.
ça se passait sur un paquebot. Quelqu'un de ma famille m'annonçait que
nous devions revoir mon oncle le lendemain matin. Ses cendres, sans
doute, ai-je pensé.
Alors je regardais la mer et j'ai senti un cri énorme monter en moi, me
déchirer la poitrine, animal primaire, une colossale lamentation, je
regardais la mer bleu glauque et je voyais mon cri glisser par vagues
sur les flots, vider une bonne fois pour toutes tout ce que j'avais à
crier, peur, colère, regrets, larmes, quel soulagement, je criais et
criais, rauque, grave, l'accomplissement de mon deuil final, c'était
tellement satisfaisant de laisser aller tout cela, comme si j'avais
enfin appris comment tout relâcher d'un coup, et sur le pont du navire
je me cachais de mes proches de peur qu'ils n'essayent de m'arrêter, je
me planquais pour pouvoir continuer à crier, je criais dans des recoins, je criais cachée, je criais pliée dans l'ombre, mais toujours, contorsionnée, les yeux fixés sur la mer qui soutenait mon cri.
mercredi 4 mars 2015
Allumée
Les mots fluides, nous avions convenu de nous rencontrer pour un verre. Rendez-vous fut pris pour la semaine suivante.
Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là.Le désir était à son comble et nous étions très satisfaits l'un de l'autre.
mardi 3 mars 2015
Après l'amour
Nous avons ouvert la fenêtre sur la nuit d'hiver. Vous avez fumé une cigarette.
Je goûtais la morsure de l'air sur ma peau, tonifiante, réveillant mes sensations, séchant la sueur des cris passés. Je jouissais de l'air froid comme d'une eau fraîche de montagne.
Elle avait enfilé un pull, toi et moi nous étions nus, nos corps opalescents s'épanouissant dans le froid. Et je contemplais avec curiosité combien nous étions semblables toi et moi, combien nous étions pays, avec nos grands corps blancs et solidement bâtis, tandis qu'elle, frêle et légère, brune, avec ses articulations fines et ses émouvants petits seins, venait avec évidence d'une autre région, d'un autre pays, d'une autre planète.
Je goûtais la morsure de l'air sur ma peau, tonifiante, réveillant mes sensations, séchant la sueur des cris passés. Je jouissais de l'air froid comme d'une eau fraîche de montagne.
Elle avait enfilé un pull, toi et moi nous étions nus, nos corps opalescents s'épanouissant dans le froid. Et je contemplais avec curiosité combien nous étions semblables toi et moi, combien nous étions pays, avec nos grands corps blancs et solidement bâtis, tandis qu'elle, frêle et légère, brune, avec ses articulations fines et ses émouvants petits seins, venait avec évidence d'une autre région, d'un autre pays, d'une autre planète.
jeudi 5 février 2015
Zoom back
Ma mère est très gentille. Pour tout dire, elle est d'une gentillesse à pleurer. Elle est de la gentillesse des très faibles et des vieillards, ceux qui n'ont pas de forces à mettre au service d'une quelconque agressivité, ceux, aussi, qui savent que leur confort de vie dépend largement de la bonne disposition des autres à leur égard, et qui cherchent à la gagner par la réciprocité.
Elle ne parle vraiment pas fort. Elle contredit rarement. Elle se fatigue vite. Elle est toute petite, tassée sur elle-même, et sans les couleurs criardes dont elle s'habille couramment, sa présence se ferait oublier dès que le groupe dépasse quatre personnes. Elle s'efface. Elle vit par les autres. Elle considère que ses deux filles sont ce qu'elle a de plus précieux au monde.
Elle est vraiment très différente de la femme qu'elle était il y a vingt ans, et à l'époque, lorsqu'elle faisait des remarques acides sur mon poids, lorsqu'elle martelait des jugements péremptoires, lorsqu'elle vivait sa vie de femme libre et indépendante en laissant ses filles de côté, je n'aurais jamais imaginé que cette femme puissante, brillante, grande et belle, sûre d'elle-même, je n'aurais jamais imaginé que cette femme était en train de disparaître.
Elle ne parle vraiment pas fort. Elle contredit rarement. Elle se fatigue vite. Elle est toute petite, tassée sur elle-même, et sans les couleurs criardes dont elle s'habille couramment, sa présence se ferait oublier dès que le groupe dépasse quatre personnes. Elle s'efface. Elle vit par les autres. Elle considère que ses deux filles sont ce qu'elle a de plus précieux au monde.
Elle est vraiment très différente de la femme qu'elle était il y a vingt ans, et à l'époque, lorsqu'elle faisait des remarques acides sur mon poids, lorsqu'elle martelait des jugements péremptoires, lorsqu'elle vivait sa vie de femme libre et indépendante en laissant ses filles de côté, je n'aurais jamais imaginé que cette femme puissante, brillante, grande et belle, sûre d'elle-même, je n'aurais jamais imaginé que cette femme était en train de disparaître.
mardi 3 février 2015
Little boxes
Dans cet extraordinaire sous-sol, m'avaient particulièrement marqué ces deux petites filles qui se renvoyaient la balle de part et d'autre d'une mortelle frontière, sans doute parce qu'elles me faisaient penser à ma sœur et moi, enfants ; la fin d'une tomate empathique, parce que c'était drôle et émouvant, et que je me suis beaucoup identifiée à la tomate ; et cette femme au visage gelé, immobile dans une baignoire où poussent les ajoncs, un petit pantin coquet à tête de mort dansant affectueusement autour d'elle. Celle-ci m'a fait penser à ma mère.
J'avais seize ans lorsque ma mère a été diagnostiquée Parkinson. Diagnostic d'élimination, ombre lente qui pesait sourdement. Les premiers signes étaient assez discrets - la fatigue, les mains qui tremblent - mais deux ans ont suffi pour qu'elle devienne ce pantin désarticulé dont les collégiens se moquent dans la rue.
La maladie de Parkinson est un trouble du mouvement. Cela veut dire qu'elle atteint toutes les dimensions de la vie.
Elle altère, fige, anéantit les expressions du visage, qui deviennent illisibles.
Elle rend l'élocution pénible, car la voix aussi est mouvement. Et c'est difficile au téléphone lorsqu'on habite à 700 km.
Elle perturbe la vue, car la convergence oculaire, qui est la base de notre vision tridimensionnelle, est aussi liée au mouvement. ça, c'était pour le cas où l'on aurait espéré que l'écrit pourrait remplacer l'oral.
Ajoutons la perte globale d'énergie, les conséquences psychiques de la maladie et celles liées aux effets secondaires des traitements.
Depuis près de vingt ans ma mère est comme une petite chose très précieuse enfermée dans une série de boîtes gigognes dont on aurait perdu la clé.
J'avais seize ans lorsque ma mère a été diagnostiquée Parkinson. Diagnostic d'élimination, ombre lente qui pesait sourdement. Les premiers signes étaient assez discrets - la fatigue, les mains qui tremblent - mais deux ans ont suffi pour qu'elle devienne ce pantin désarticulé dont les collégiens se moquent dans la rue.
La maladie de Parkinson est un trouble du mouvement. Cela veut dire qu'elle atteint toutes les dimensions de la vie.
Elle altère, fige, anéantit les expressions du visage, qui deviennent illisibles.
Elle rend l'élocution pénible, car la voix aussi est mouvement. Et c'est difficile au téléphone lorsqu'on habite à 700 km.
Elle perturbe la vue, car la convergence oculaire, qui est la base de notre vision tridimensionnelle, est aussi liée au mouvement. ça, c'était pour le cas où l'on aurait espéré que l'écrit pourrait remplacer l'oral.
Ajoutons la perte globale d'énergie, les conséquences psychiques de la maladie et celles liées aux effets secondaires des traitements.
Depuis près de vingt ans ma mère est comme une petite chose très précieuse enfermée dans une série de boîtes gigognes dont on aurait perdu la clé.
dimanche 18 janvier 2015
Dans la même direction
Lorsque j'entends quelqu'un dire que pour lui, aimer, c'est se soucier du bien-être de l'autre et s'oublier soi-même, derrière la définition grandiloquente j'entends le petit côté donneur de leçons - moi, c'est ce que j'appelle aimer - mais j'entends aussi, et surtout, comme une réclamation - je voudrais que quelqu'un se soucie de mon bien-être en oubliant le sien.
Inscription à :
Articles (Atom)