Sur le site, il y a plusieurs squelettes humains presque entiers.
C'est rare finalement de voir de si près des squelettes humains qui ne soient pas des trucs en plastique pour la décoration.
L'un, une tombe plus tardive est venue lui couper la jambe par le milieu, posée en biais par-dessus sans façons.
Les os ont un aspect étrange, plat, comme des rubans. Mais après tout c'est peut-être leur aspect normal, je suis pas si familière des squelettes.
D'un crâne dont les dents sont quand même incroyablement grosses on me dit non en fait ça c'est une tête de veau, c'est normal à l'époque on mettait vraiment n'importe quoi à l'intérieur des murs ça servait de poubelle.
L'ambiance est archéologique, décontractée, pas recueillie pour un sou.
Je suis d'abord étonnée qu'on laisse ces restes comme ça à ciel ouvert pour les visiteurs, même sur un site de fouille. Ça a été un cimetière, ces tombes étaient faites pour rester fermées. N'est-ce pas une profanation d'exposer ces ossements ? Autant d'ossements ? Que fait-on du respect de la mémoire des morts ?
Et puis je me souviens qu'il n'était pas rare à l'époque d'ajouter deux, trois corps par-dessus le premier dans la tombe un fois celui-ci bien racorni. Et ainsi de suite. Que nos concessions actuelles ne sont, la plupart du temps, que temporaires, de cinquante ans au maximum, après quoi, en l'absence de renouvellement, les restes sont discrètement évacués.
Autrement dit : un corps, ça n'a qu'un temps. Les rites funéraires ne s'adressent pas à l'éternité, ils ont une limite temporelle. Une fois cette limite passée, les restes - ossements, débris, poussière - ne sont plus le mort, ne renferment plus sa mémoire.
Le temps du déroulement du rite, c'est le temps nécessaire à la déliaison ; à cesser de voir le défunt dans ces pauvres débris matériels qui ne lui ressemblent en rien. Une fois écoulé le temps jugé nécessaire à cela selon les cultures - parfois plusieurs dizaines d'années, parfois juste le temps de la cérémonie funéraire - ce n'est plus un corps humain, mais un simple déchet. Il n'est plus tabou. L'esprit a fui.
Pourquoi continuerions-nous à voir quelque chose de sacré dans ces os vieux de plusieurs siècles, quand la société même dont ils sont issus leur ôtait ce statut après quelques dizaines d'années ?
Les ossements cessent alors d'être des restes humains et redeviennent ce qu'ils sont exactement - rien qu'un peu de matière. Il est alors possible de les déplacer, de les jeter, de les utiliser comme matériaux de construction. Ou de les regarder sans émotion, pierres parmi les pierres, au milieu des vestiges d'un cimetière abandonné depuis près de mille ans.
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