J'avais levé les yeux de mon livre et du dos de la main, pensive, effleuré le mur de la bibliothèque, son aspect m'ayant donné envie d'en connaître la texture. C'est alors que j'avais rencontré le regard du jeune homme en face de moi, qui m'avait vu faire ce mouvement ; mes yeux dans le vague s'étaient brusquement focalisés ; fragile comme l'anémone de mer, j'avais sous le seul effleurement de son regard replongé le mien dans mes études.
Cette manifestation fugace de ma curiosité tactile avait suffisamment éveillé la sienne pour qu'il profite d'une de mes pauses pour récupérer mes coordonnées dans mon agenda, mais pas assez pour qu'il se comporte autrement qu'en butor une fois le contact noué.
C'était en un autre lieu, un autre siècle. Le souvenir de ce jeune homme est depuis longtemps éteint en mon foyer.
C'était en un autre siècle et aujourd'hui pourtant, chaque fois que je tends la main pour caresser un rocher partiellement recouvert de lichen, les feuilles duveteuses d'un végétal, la grosse trame d'un tissu, chaque fois que s'exprime dans l'espace public ma sensibilité tactile, je me souviens brutalement que je viens de montrer quelque chose de ma vulnérabilité - et du regard je cherche, comme par réflexe, qui aurait pu être témoin de mon geste - qui aurait pu, peut-être, l'interpréter à tort comme une avance, comme un stratagème de séduction à lui adressé - qui aurait pu le prendre comme une autorisation de me maltraiter.
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