Aveuglée par ton côté solaire, je n'avais pas jusqu'ici remarqué à quel point tu étais maigre.
Ce n'est pas cette maigreur aimable de l'adolescence, toute souplesse ondoyante, pas non plus une maigreur maladive, mais réellement, tu es si maigre. Ton bras, c'est un os.
Et au-delà de l'inquiétude que ta maigreur fait naître - es-tu malade, es-tu mourant ? - frappe à coups réguliers un souci plus bas. J'appréciais jusqu'ici ta sensualité nonchalante, ta vitalité anarchique ; mais ta maigreur fait naître en moi une faim plus malsaine. Et je me rends compte qu'une fois de plus, en te désirant, j'ai repéré, avec un flair imparable, l'animal le plus faible du troupeau.
Je suis un prédateur, un dépeceur de chairs faibles, et pas un de ces prédateurs nobles qui s'attaquent à de majestueuses montagnes de muscles, non, un prédateur loqueteux, un loup des steppes, si conscient d'être minable qu'il ne s'attaque qu'à des animaux en manque de quelque chose d'important, des animaux en détresse, des proies dont il juge qu'elles lui seront faciles. Le choix de nos désirs en dit long sur le mépris en lequel nous nous tenons, nous autres prédateurs de tout jeunes, de vieux, de malades, de brisés.
Soyez beaux, forts, brillants, habiles, élégants, c'est uniquement lorsque vous me confierez un coeur estropié, une enfance malheureuse, une ombre de mort que vous ferez dresser mon oreille et frémir ma narine.
J'aurai senti l'odeur du sang.
Je te ferai confier à moi, et c'est par là que je t'approcherai, par la voie des larmes et de la tristesse, et non par les rires et la danse. Je ferai fleurir en toi la victime, pour mieux te consoler. Je tuerai en toi l'assurance, pour être l'épaule sur laquelle tu t'appuies. Je cultiverai tes humeurs noires, car c'est moi qui serai capable de les purger. Ce sont tes qualités qui m'attirent, mais ce sont tes failles qui me disent "vas-y", c'est par elles que j'espère m'insinuer. Et pour cela je les cultiverai. J'attirerai constamment ton attention sur elles. Je te ferai devenir faille. Je devrais te crier de t'éloigner. Mais je rôde autour de toi, silencieuse, béante.
Ainsi s'enfle peu à peu mon ventre, de membres maigres, et de vies blessées.
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