mardi 23 février 2016

La première fois

Cela fait longtemps maintenant que nous nous connaissons et pourtant chaque fois c'est comme la première fois. Cette première fois où rien n'est encore décidé, où l'on n'est pas sûr de plaire. Où l'on se voit en sachant que quelque chose peut se passer, sans que ce soit gagné d'avance, où l'on sait qu'il va falloir oser sortir de la tétanie, surmonter sa timidité et la peur du râteau. Délicieuse incertitude.

Je frappe à ta porte, tu ouvres et nous ne nous jetons pas l'un sur l'autre pour mêler nos langues. Non. On se fait la bise. On se demande si ça va. Il y a toujours une sorte de réserve, de timidité. Nous ne nous prenons même pas dans les bras. J'en aurais pourtant envie, mais c'est comme si j'ignorais que toi aussi. Ta présence me plonge instantanément dans le désir et le doute à la fois.

Nous commençons par discuter entre bons amis, avec ce sous-texte du désir entre nous, que nous ignorons superbement. Il n'y a pas d'accord tacite. Nous auront à reparcourir tout le chemin. Mamihlapinatapai. Nous passons un long moment comme ça, souvent plusieurs heures, sans nous toucher, prenant plaisir à être ensemble. Nous nous jetons des regards en coin. Nous prenons le temps de sentir si nous nous plaisons encore. Avec en arrière-plan cette tension dans le ventre - comment amener le sujet ? Et est-ce le sujet finalement ? - mais seulement en arrière-plan.

Parce que nous ne nous voyons pas pour faire l'amour. Mais il est rare, pourtant, qu'à un moment ou à un autre l'un de nous deux n'initie pas le contact. Timidement, comme si c'était la première fois. Toucher les mains, masser les épaules. Comme une proposition, comme une question. Un premier contact non-érotique qui pourra ou non être saisi comme une occasion d'aller plus loin. Ecouter la réponse, sentir la réaction. Laissant la porte ouverte à un "non" qui pourtant n'arrive jamais.

Et le premier baiser, alors, est toujours frais et intense comme si nous réalisions pour la première fois que notre désir est partagé. Nous nous embrassons timides, avec précautions, avec délicatesse, les lèvres parcourues de délicieux frissons à mesure que toute cette tension accumulée trouve peu à peu son accomplissement. Nous nous accueillons avec surprise et émotion.

Cette incertitude, ce sentiment que l'autre n'est réellement jamais acquis. Ce manque de confiance réciproque dans le désir de l'autre. Cela m'amuse de remarquer, grands maladroits, comme nous nous retrouvons à la case départ - à chaque fois, à chaque fois.

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