La première chose que je fais, toujours, c'est enfiler mes gants. Des gants de travail, enduits côté paume de cette matière antidérapante, je ne sais pas exactement ce que c'est. Ils s'ajustent presque exactement sur mes mains et je me sens grandir de quelques centimètres. J'aime cette sensation. Un léger frisson court dans ma poitrine. Revêtues de ces gants, mes mains deviennent autres. Fortes. Agiles. Capables. Et surtout : invulnérables. Pourtant jamais ces gants ne seraient assez résistants pour protéger mes mains d'un trait de scie circulaire. Pourtant je les mets aussi pour tracer, mesurer - choses qui ne mettent pas mes mains en péril. Mais lorsque je porte ces gants, c'est mon ethos menuisier que je revêts. Mes mains couvertes, et c'est tout mon corps, mon être entier qui devient plus puissant.
Associer le bois, morceau par morceau. Travailler chaque pièce. Penser l'ensemble, et le voir peu à peu prendre forme. Déplacer les choses. Ne pas se soucier des postures que prend le corps. Respirer la poussière de bois. Ajuster.
Le casque sur le cou, le casque sur les oreilles. Voir les mèches de la perceuse entrer sans effort entre les veines du bois sans en entendre le bruit. L'odeur des copeaux légèrement brûlés. Concentrée, concentrée. Je tiens les choses ensemble dans ma tête avant de les tenir dans mes mains. Penser à de multiples paramètres en même temps. Penser justesse, équilibre, beauté. Avec les moyens du bord, construire quelque chose qui me fera plaisir à voir et à toucher.
Ne pas voir passer le temps.
Avoir soif.
Peu de mots trouvent place dans le processus. Un grognement satisfait de temps à autre.
Et parfois, au milieu d'une mesure minutieuse, je dois faire effort pour me souvenir de ne pas trop insister - qu'un millimètre de plus ou de moins à cet endroit n'est pas dramatique, que cela ne changera rien à l'équilibre du meuble, que je ne le percevrai pas du tout lorsque je serai assise à cette table pour écrire - non, ne te tracasse pas trop pour cette mesure, il y a une limite supérieure à la méticulosité, et ce n'est pas l'obsession du menuisier qui fera le grand roman - finalement, tout ce que je demande à cette table, c'est d'être suffisamment bonne pour écrire dessus.
Un roman ?
RépondreSupprimerMais oui, un roman. Vous savez : un truc pour caler les tables.
Supprimer